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Noël 2014


Autour de moi, il n'y a plus que de la neige. Même le ciel semble fait d'un coton épais et lourd. L'horizon se confond en une ligne imparfaite, parfois entrecoupé d'arbres qui se dressent à la verticale, leurs branches gelées par le froid.

Je sais que je suis perdu. Je le sais depuis que j'ai contourné le lac immense, depuis que j'ai marché au sommet de la colline, depuis que je suis redescendu dans la plaine et que soudain, autour de moi, il n'y avait plus trace de vie mais seulement une étendue immense et blanche, qui brille au soleil. Je ne sais même pas si ça me dérange. L'air froid me pique les joues, et je ne me suis jamais senti aussi bien que sous ce ciel de glace, à marcher vers nul part.

Esther va sûrement me détester après ça. Si je ne rentre pas à temps en tout cas. Je la vois déjà, avec son petit tablier brodé, prenant un air contrit devant ses parents venus exprès pour rencontrer leur gendre. Ils auront plus de dinde au moins. Plus de cadeaux même. Moi, tout ça me dégoûte. Cette profusion de mets, de paquets, ses sourires figés qui ne veulent rien dire mais que l'on se sent obligés d'offrir sous prétexte que c'est Noël.

Noël.

Quelle belle connerie.

Je me souviens d'un temps pourtant, où j'aimais bien Noël. Avec Gemma, ma soeur, nous étions réveillés à l'aube et nous descendions l'escalier de bois le plus doucement possible, nous tenant à la rampe pour ne pas faire craquer les marches. On n'osait pas regarder dans le salon, de peur de surprendre le père Noël au travail sûrement, alors on jetait des coups d'oeils craintif par le trou de la serrure, on essayait de deviner dans l'ombre la forme de nos cadeaux. Gemma était plus aventureuse que moi, et elle finissait toujours par pousser légèrement la porte. Quand on voyait les paquets sous le sapin, on ne se retenait plus. Tout les deux nous courrions comme des fous, en poussant des cris qui auraient pu réveiller tout le quartier. Maman et papa descendait à leur tour, en pyjama, et ils riaient de nous voir déchirer les emballages et nous exclamer en voyant que tout ce que nous avions commandés un mois plutôt était bien arrivés. A cette époque, oui, j'aimais la période de Noël parce qu'elle rimait avec magie, elle avait l'odeur des petits pains d'épices, des mandarines que maman posaient dans un petit panier sur la table basse. A cette époque encore, je posais mes chaussons sous le sapin, je pensais à mettre une assiette de cookies et un grand verre de lait pour le père Noël, je croyais aux rennes, au traîneau volant. Je croyais encore que les miracles étaient possibles, et que tout pouvait arriver, tant que l'on y croyait très fort.

Dans la poche de mon anorak, je sens mon portable vibrer. Je m'arrête un instant, ôtant mon gant pour déverrouiller l'écran. Sans surprise, c'est Esther. Elle a l'air énervée. Ses parents sont arrivés, elle s'excuse pour notre dispute et si je pouvais ramener mon cul en vitesse ça l'arrangerait merci.

Je ne prends même pas la peine de répondre et je me remets en marche. Ici, la nuit tombe à une vitesse folle. Je ne distingue presque plus les arbres immobiles, d'autant plus qu'il s'est remis à neiger. Les flocons tombent doucement sur mon bonnet, s'accrochent au boucles brunes de mes cheveux et me glacent la peau. Peut être que je devrais retourner en arrière quand même. Retrouver la station de ski, et notre petit chalet bien chauffé. Peut être que je devrais faire ce que me dit Esther, aller m'asseoir à table face à son père et l'écouter parler de combien son poste de PDG dans son entreprise de merde est avantageux, et combien il faudrait que j'abandonne mes rêves de gamins pour réfléchir sérieusement à mon avenir, me trouver un travail qui me promettrait un bon salaire pour pouvoir fonder une famille. Tout de même Harry, vous devez penser à l'éducation de vos enfants plus tard.

Le problème c'est que plus j'y réfléchis, et plus le mot famille associé à Esther me donne froid dans le dos. Ce n'est pas que je n'en veux pas. Des enfants, j'en ai toujours rêvé. J'adore les bébés mais... Avec Esther. C'est ça le problème. Je ne suis plus sûr de vouloir quoi que ce soit avec elle. Je l'aime, c'est indéniable, mais il y a trop de choses qui nous séparent. Je ne veux pas aimer quelqu'un pour son apparence, ou pour quelques petits trucs futiles. Moi je veux aimer en grand, je veux aimer à chaque instant, je veux en avoir mal au coeur, je veux que ça me renverse, que ça me dépasse, je veux qu'un regard me fasse frissonner des pieds à la tête.

#

Je suis assis dans la neige. Il fait nuit à présent, une nuit noire et profonde. La lune est rousse au dessus de ma tête, et elle éclaire le paysage d'une lumière laiteuse. Tout est tellement calme et lumineux, j'ai l'impression d'avoir changé de monde, d'avoir bifurqué dans un univers parallèle où la beauté s'était cachée depuis tout ce temps.

Ou peut être que je suis simplement mort de froid sans m'en rendre compte et qu'il s'agit du paradis.

Mes dents claquent les unes contre les autres et j'ai beau me lever régulièrement pour marcher en rond autour de la petite colline de neige qui m'abrite, il fait toujours aussi froid. Mes lèvres sont totalement gelées et le bout de mes doigts commence à me piquer.

J'ai fini par ressortir mon portable bien entendu, mettant ma fierté de côté pour appeler Esther et lui demander de venir me chercher mais l'endroit est bien trop paumé et je n'ai pas de réseau. Alors j'attends. Je ne sais pas trop quoi, mais j'attends.

Je sais que personne ne va jamais passer, c'est la nuit de Noël tout le monde réveillonne en famille, bien au chaud. Il n'y aura pas un autre con comme moi pour venir se balader en pleine nuit au milieu de la montagne. Je m'allonge à moitié dans la neige. J'ai froid absolument partout, dans le dos, dans mes jambes. Je n'ai jamais ressenti ça avant, cet engourdissement de tout mes muscles. Est ce que c'est la sensation que l'on a lorsque l'on est paralysé ? Ou est ce que au contraire, on ne ressent plus rien du tout justement ? Moi en tout cas j'ai froid et ça me brûle. Je me force à regarder le ciel pour éviter d'y penser. Les étoiles sont brillantes et blanches. Je cherche l'étoile du berger. Je me demande si les rois mages se sont perdus eux aussi dans le désert, avant de réussir à trouver le petit Jésus. J'ai toujours eu des doutes quand à cette histoire de suivre une étoile, aussi brillante soit elle... De toute façon même si je décidais de me relever et de marcher vers l'étoile du Berger, ça ne me mènerait à personne. Il faut quand même avoir un sacré espoir pour traverser monts et vallées pour offrir un cadeau à un bébé. J'aimerais bien être comme ça aussi. Avoir à nouveau un peu de magie dans le coeur, un peu de foi en quelque chose.

Je ferme à moitié les yeux. Mes cils collent entre eux, et je me rends compte que c'est parce que je pleure. Je crois que c'est le froid, ça me fout les larmes aux yeux. Il faut que je marche à nouveau, que je fasse quelque chose. Je ne peux pas rester et attendre ici que le matin se lève, où je vais tomber en hypothermie avant une heure. Je ne suis pas dans un film et aucun chien des montagnes ne va venir me chercher en aboyant.

Je tente de me relever mais c'est comme si mes membres étaient restés attachés au sol gelé. Mes jambes tremblent. Je me laisse retomber dans la neige.

#

Ce sont les phares d'une voiture qui me sortent de mon engourdissement. Je crois que je me suis rendormi. Pas longtemps parce qu'il fait toujours nuit, mais assez pour que mes jambes soient recouvertes d'une fine pellicule de neige. Mon visage me brûle tellement que j'ai l'impression que toute ma peau est à vif.

Mais cette fois, devant moi il y a une voiture, un espèce de gros 4x4 spéciale montagne, avec des chaînes autour des pneus. Les phares m'éblouissent un moment avant de se baisser et une porte claque. Je pourrais en pleurer de soulagement. Il y a quelqu'un – aussi fou que moi apparemment – qui se balade en pleine nuit dans la montagne et qui va me sauver.

Quelques secondes après, des bras me tirent vers le haut.

Je m'évanouis à nouveau. 




Winter Stars - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant