Prologue

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Tout ce que nous connaissions jadis n'est plus à présent : Ni le pâle écho au loin, ni la douce musique de cette joie infime. Nous avançons pas à pas, et nous savons pertinemment que tout est perdu désormais : aussi bien la rivière, les arbres, les prairies en fleurs. Et c'est ainsi que viennent les souvenirs, les promesses perdues, et peut-être même la mélancolie d'une soirée au clair de lune, sous une musique que nous connaissions à peine. C'est étrange la vitesse à laquelle la nostalgie meurtrière s'empare de notre cœur, elle nous blesse, elle nous rend coupable d'un instant de notre vie que nous n'avions guère préparé.

Les poètes écrivent beaucoup au sujet de la mort ou des souvenirs perdus. La plupart du temps, leur inspiration est guidée par leur tristesse et leur mélancolie, par des évènements de leur passé qui continuent à les poursuivre, sans cesse : dans leurs cauchemars, dans leurs désirs déchus, c'est une course sans issue qu'ils mènent dans la misère d'une vie. C'est pour cette raison que les hommes se sentent rejetés, se sentent victime de l'injustice. Je crois que la tristesse est un sentiment égoïste. En effet, des tas de drames arrivent chaque jour, à chaque heure, dans des circonstances abominables, mais au final, jamais nous ne pensons à ce qui pourrait se passer autour de nous, car le seul drame susceptible de nous intéresser est le notre. Si je vous parle de tout cela, c'est parce que c'est un sujet qui me fascine au moins autant qu'il me hante et m'horrifie : la perte, le sentiment de la perte et la solitude qu'elle engendre. Ayant perdue une amie proche le mois dernier, je ne peux que me morfondre dans ce genre de pensée. J'ai beau lire et relire les poèmes de Poe, Blake, Shakespeare, je ne trouve là dedans rien de vrai, rien de rationnel.

Les poètes décrivent la perte comme quelque chose de serein, de mélodieux. Ce qu'ils oublient de mentionner, c'est la douleur qui vous tiraille le cœur, c'est la désolation profonde d'un monde qui vient de se refermer avec une brutalité insensible. Dans ces moments là, vous ne comprenez pas vraiment pourquoi les petites rues de Blackpool continuent de s'agiter dans une démarche effrénée, ni pourquoi la télé sans cesse en marche continue à vous diffuser les bulletins d'informations, parlant des problèmes budgétaires du Royaume-Uni. Ce que vous voulez, au fond de vous est bien plus contradictoire : vous aimeriez que le monde s'arrête de vivre rien que pour vous, mais vous aimeriez également qu'il vous laisse en paix, ce qui est bien absurde, il faut l'avouer.

La mort n'est pas sereine, comme peuvent la décrire les poètes. Ils n'y connaissent pas grand-chose à vrai dire, ils parlent de façon détournée et embellissent sans cesse les situations quotidiennes et le monde dans lequel nous sommes : ils font passer un crime pour un acte diaboliquement passionné, ils décrivent la pollution comme une poussière féerique, ils parlent de la mort comme on parle d'une histoire d'amour. Ce que j'ai ressenti, moi, n'avait rien de paisible, il n'y avait nul métaphore, nul sous-entendus: c'était un acte brutal, barbare. C'était le sentiment le plus glacial et le plus paralysant que je n'avais jamais connu.



We blew out the candleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant