Adrienne passa toute sa semaine à prier. Bien qu'elle n'avait pas peur de la mort, elle redoutait la douleur que cette mort allait lui apporter. Elle se réconfortait en se disant que ce ne pouvait être bien plus intense que les tortures qu'elle avait dû endurer. Elle pensa également au dépouillement que l'inquisition allait faire à sa maison. Par chance, elle avait le véritable dernier objet de valeur qui lui restait en sa possession. Puis, une lumière s'alluma dans sa tête. Ils ne devaient, en aucun cas, récupérer sa pierre précieuse. Elle la serra un peu plus fort contre elle, l'angoisse commençant à la gagner. Elle devait faire un compromis avec eux. Mais lequel?
La veille de son exécution, la seule possibilité se présenta à elle. Elle leur demanderait d'être brûlée vive et non pendue avant. En échange, elle pourrait garder sa pierre. Encore là, elle le proposerait à la seule condition qu'ils la réclament. Elle dormit donc sa dernière nuit en tant que mortelle avec un point de moins sur ses épaules.
Les gardes la réveillèrent vers les midis où elle mangea son dernier repas. Le garde qui avait toujours cru en son innocence avait la tête basse, ne sachant si finalement elle en était une ou non. Adrienne remarqua sa mine basse et, se rappelant tout ce qu'il avait fait pour elle, se permit de lui chuchoter à l'oreille.
-Merci pour tout, et si cela peut vous rassurer, je ne suis pas réellement une sorcière. Ce sera notre secret!
Il la regarda, d'abord surpris puis soulagé. Il se retint de lâcher une larme, ne voulant pas que son collègue remarque l'échange qu'il avait eu avec la condamnée. Frans vint leur rendre visite juste avant qu'il ne se dirige vers l'échafaud. Il lui tendit la main, paume vers le haut.
-Je crois que vous n'en aurez plus besoin, sorcière.
Adrienne avala sa salive.
-En fait oui, le contraria-telle. J'aurais un marché à faire avec vous.
-J'ai bien hâte d'entendre ça, fit Frans, surpris.
-Je garde la pierre avec moi, puisque vous pourrez de toute façon récupérer celles qui sont chez moi si ce n'est pas déjà fait.
-Et en échange? ricana-t-il. Tout a un prix, vous ne devez pas l'oublier juste parce que vous vous apprêtez à mourir.
-Je ne serai pas pendue comme entendu, mais brûlée vive.
Frans arqua les sourcils. Cet échange la mettait dans une forte situation désavantageuse. La pierre ne valait pas la souffrance qu'elle allait endurer. Frans sourit à cette dernière pensé. Elle ne s'en rendrait compte que trop tard et elle souffrirait plus pour une pierre. Il retira sa main et tourna la tête.
-Comme vous voudrez, fit-il avec l'air le plus innocent qu'il pouvait.
Adrienne hocha la tête et commença à marcher d'un pas fluide, malgré ses douleurs aux pieds, vers son destin qui était devenu inévitable. Elle commençait à entendre le bruit de la foule à l'extérieur et une porte ouverte sur l'extérieur donnait l'impression d'une porte blanche, si blanche qu'Adrienne dû se cacher de sa main pour ne pas être éblouie. Elle s'arrêta quelques secondes avant de passer la porte blanche.
-Plus qu'une épreuve avant d'être à tes côtés, mon amour... murmura-t-elle avant de franchir d'un pas presque heureux cette porte de lumière.
Le bruit de la foule qui venait assister son exécution était palpable. Moment heureux pour la plupart, sentiment de vengeance mérité pour les autres. Frans avait déjà averti le bourreau du compromis et le bûcher était prêt. Quelques personnes de la foule lancèrent des cailloux sur Adrienne qui en reçut un sur le bras.
Mais Adrienne ne les voyait pas. Elle marchait et se sentait déjà sur un nuage qui la mènerait là où lumière régnait. Tout ce qu'elle voyait, c'était l'échafaud où elle se dirigeait. Tout ce qu'elle entendait, c'était le vent qui lui effleurait les oreilles. Elle respira pour la dernière fois les parfums de la fin de l'été et effleura du bout des doigts une feuille d'arbre qui était à côté d'elle. Elle s'était rarement sentie aussi vivante de sa vie.
Elle monta les marches par automatisme et se mit dos au poteau où on allait l'attacher. Le bourreau l'attacha et s'éloigna d'elle. Tous s'exclamèrent, mais Adrienne ne les entendait pas. Elle ferma les yeux au moment où le bourreau mit le feu au bois sec que constituait son échafaud. Elle sera dans sa main la pierre offerte par son mari. "N'oublie pas que cette pierre a des propriétés magiques. Il te suffira de dire une seule phrase, une seule qui résume tes intensions, les choses que tu voudrais accomplir dans ce royaume qu'est notre vie humaine, et tout se réalisera." Adrienne ouvrit les yeux, stupéfaite. Comment avait-elle bien pu oublier cette phrase qu'avait dite son mari avant de mourir? Elle inspira et murmura.
-Que la justice soit faite...
Elle répéta sa phrase encore et encore. Plus elle la répétait, plus elle sentait sa voix augmenter, son énergie augmenter, sa pierre se réchauffer. Les flammes atteignaient déjà ses hanches lorsqu'elle se sentit submergée par une vague d'énergie puissante. Elle cria.
-Que la justice soit faite!
Les gens présents reculèrent, inquiétés par les paroles émises par Adrienne. Jean se risqua à hurler que c'était pour cette raison qu'il était présent, mais un feu ardent commençait à lui brûler le cœur. Adrienne ressentait toute la douleur du feu qui essayait de la consumer, mais la partie de la pierre qui était une améthyste la guérissait, à une vitesse alarmante. Toutes les cicatrices qu'elle avait eues pendant les tortures des derniers jours disparurent. Ses os fracturés se ressoudèrent et le feu n'avait pas le temps de la brûler qu'elle guérissait de ses brûlures.
Adrienne continuait de hurler sa phrase et plusieurs personnes commencèrent à hurler de douleur. Inquiets, d'autres s'approchèrent d'eux lorsqu'ils virent du feu sortir du plus profond de leurs entrailles. La panique générale posséda les gens qui commençaient à se consumer de l'intérieur. Adrienne trouva du regard Frans, pétrifié par la tournure des événements. Elle murmura alors pour lui seul.
-Que justice soit faite!
Adrienne put voir de ses yeux le feu apparaître dans ceux du commissaire. Les douleurs de Frans furent de loin plus intenses que celles des autres personnes présentes, puisqu'en plus de recevoir le châtiment d'avoir torturé Adrienne et de l'avoir envoyée au bûcher alors qu'elle était innocente, il l'avait fait pour plusieurs autres femmes avant elle.
Alors que les gens autour d'elle étaient devenus un tas de cendre, elle s'évanouit dans son dernier cri. Elle se réveilla alors, flottant autour de son bûcher. Elle mit un moment à comprendre ce qui s'était passé. Elle s'attarda alors sur son corps, mais ne vit rien, comme si elle était partie dans un nuage de poussière. Une présence derrière elle l'enlaça.
-Vous avez fait ce qu'il fallait, ma tendre aimée.
Adrienne se retourna et reconnut son mari. Il avait un visage jeune et serein. Adrienne l'enlaça à son tour.
-Vous m'avez tant manqué...
Après un moment qui lui parut une éternité, il se sépara d'elle et lui prit la main.
-Venez, nous avons tant de choses à nous raconter, depuis le temps.
Adrienne flotta avec son mari jusqu'à une porte comme elle avait traversé avant d'aller sur l'échafaud. Mais cette porte-ci la mena dans un monde de lumière, et de justice.
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Le procès des sorcières
Historical FictionAdrienne d'Heur, une veuve de 60 ans, se retrouve confrontée à des fausses accusations pour sorcellerie et est envoyée à Rheinbach où aura lieu son procès. Elle fait alors connaissance avec un homme cruel, soit le commissaire à la sorcellerie, monsi...