Frans la regarda et lui annonça avec un étrange plaisir et enthousiasme dans la voix qu'il n'avait plus le choix de lui poser La Question. Elle ne comprit pas sur le coup ce qu'il voulait dire par la question, mais comprit qu'elle allait se faire torturer. Adrienne changea inconsciemment sa peur en rage.
-Parce que vous vous imaginez vraiment que les réponses que je vais vous donner vont être plus sincères sous l'influence de la torture? Mais êtes-vous juste des imbéciles ou vous avez réellement fait des études pour avoir le statut que vous avez?!
Elle reçut comme réponse une puissante gifle de la part de Frans.
-Parce qu'elle se sent encore d'attaque pour nous critiquer cette sale femelle! ricana-t-il de soulagement après l'avoir giflé. Je tiens à vous préciser qu'aucune sorcière ou presque n'avoue sans l'influence de la torture. Il est écrit dans le Malleus Maleficarum que les sorcières et sorciers sont des cas exceptionnels et qu'il est légal d'utiliser la torture pour les faire parler, même recommandé.
Adrienne resta sur sa surprise et son humiliation de la gifle. Il était pathétique de demander à quelqu'un sous torture quelque chose puisque la personne est généralement prête à tout faire et dire pour mettre un terme à ses douleurs. Elle ne savait pas si elle devait se débattre. En fait, pour la première fois depuis son arrivée, Adrienne se sentit démunie de toute arme et se savait perdue d'avance. Son visage laissait transparaître un peu de sa peur et de sa panique, ce qui fit jouir de joie Frans. Depuis le temps qu'il voulait la voir dans cet état! Il arrêta de se poser des questions et demanda la torture par estrapade au bourreau. Celui-ci alla chercher un casse-noisette et le ferma sur le doigt d'Adrienne. Frans lui posa alors la question.
-Alors, la Bacquesonne, l'insulta-t-il. Êtes-vous une sorcière?
La mention de ce nom péjoratif que lui avait donné quelques personnes dans le village la happa de plein fouet et la réveilla de son état de panique avancé. Adrienne prit sa décision et alla puiser au plus profond de ses convictions.
-Non, lui cracha-t-elle au visage.
Frans fit signe au bourreau et celui-ci exerça toute sa force à la brisure de la noix, qui était dans ce cas-si l'annulaire droit d'Adrienne. Elle laissa un cri déchirant résonner au plus creux des oreilles des personnes présentes. L'inquisiteur Vinzent eut une sorte de malaise. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il assistait à une torture. Frans eut envie de se débarrasser de l'inquisiteur qu'il trouvait de plus en plus faible. Il fut cependant plus malin, et lui proposa simplement de s'en aller, que la torture d'aujourd'hui était trop violente et dégoûtante pour un inquisiteur de son rang et que tout se passerait très bien même s'il n'était pas là. L'inquisiteur parut presque soulagé et partit sans demander son reste.
La torture d'Adrienne continua. À chaque refus qu'elle témoignait, elle avait droit à une pression supplémentaire sur son doigt, jusqu'à ce que son os se brise. Adrienne n'avoua cependant rien. Elle avait toutes les raisons du monde de ne pas lui dire. Elle n'était pas une sorcière. Et chaque pression de plus, chaque os qu'elle se faisait briser augmentait sa rage et envers le monde entier. Toujours les mêmes questions lui revenaient en tête. Pourquoi elle? Qu'est-ce qu'elle avait bien pu faire ou ne pas faire pour mériter ce sort? Les accusations qu'on avait portées contre elle étaient toutes fausses, elle le savait. À moins qu'elle vive la nuit et qu'elle y fasse des choses sans en avoir conscience? Elle se ressaisit. Il ne fallait pas qu'elle se mette à délirer, ou il était certain qu'elle cédait au désir de ses manipulateurs.
À la fin de la séance, Adrienne avait trois doigts de brisés à la main gauche, quatre à la main droite et deux orteils du pied gauche. La douleur était palpable; elle avait de grandes difficultés à marcher, et la douleur était tellement vive et aiguë qu'elle tomba presque sans connaissance en descendant les marches. Les deux gardes se regardèrent et la prirent chacun en dessous d'un bras, la soulevant du plancher, et allèrent la porter dans sa cellule. Adrienne ne pouvait dire s'ils le faisaient par pitié ou simplement parce qu'on leur en avait donné l'ordre. Elle leur esquissa un faible sourire en remerciement malgré tout. Ils hochèrent de la tête en signe d'acceptation du remerciement et la déposèrent dans sa cellule.
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Le procès des sorcières
Ficción históricaAdrienne d'Heur, une veuve de 60 ans, se retrouve confrontée à des fausses accusations pour sorcellerie et est envoyée à Rheinbach où aura lieu son procès. Elle fait alors connaissance avec un homme cruel, soit le commissaire à la sorcellerie, monsi...