N'est-il jamais arrivé à quiconque de partir ? Non, pas partir définitivement, mais partir, comme cela, s'en aller, sans forcément savoir ou aller, ou même partir physiquement. Partir, simplement, s'évader, oublier peut être, mais partir, loin de ce qui est passé ou présent, se projeter dans l'avenir, pourquoi pas. Imaginer, créer. Fermer les yeux et se laisser aller à penser, jusqu'à ne plus penser, à rêver jusqu'à ne plus rêver, à être jusqu'à ne plus être, et entrer dans cet état second, cet état à la limite de la conscience et de l'inconscience, où nous savons que nous ne voyons pas ce que nous voyons, mais où malgré tout nous restons persuadés que ce qui nous entoure existe. Un état second, un état entre l'existence et l'inexistence, ou nous sommes sans réellement être, où notre projection sent et ressent les mêmes choses que nous, pense comme nous, agit comme nous, mais sans être comme nous, fait de chair, d'os et de sang. Qu'est-ce alors ? Rien ? Pensez-vous que nous puissions qualifier de « rien » un être qui nous appartient, qui nous complète dans un monde ou l'immatériel remplace le matériel ?
Non.
Je suis là, face à ma feuille, bien présent, et pourtant. Pourtant lorsque vous me lirez, je ne serais plus là, je serais parti, ailleurs, loin peut être. Définitivement ? Surement pas. Déjà, là, je sens que je ne suis plus avec vous, ni même avec moi. Je m'échappe, je m'évade, je m'envole. Où ? Me demanderez-vous. Êtes-vous certains de vouloir me suivre ? L'idée de rester devant une page noircie de mots, comme l'est celle ci, est peut-être plus rassurante que celle de plonger dans mon être. Nous avons tous un cadavre dans notre placard, n'est-ce pas ? Je suis un placard. Riez-vous ? Oui, la formulation est peut-être un peu risible, je l'avoue. Mais réellement, oublions l'image, et concentrons-nous sur le sens. Voudriez-vous que je me plonge en vous ? Et découvre vos envies, vos peurs, vos secrets, vos hontes les plus grandes et les plus cachées ? Vos... sentiments ? Réfléchissez. Oh, je me doute bien que vous n'avez rien à cacher, mais moi, pouvez-vous être sûrs que c'est aussi mon cas ? Non, il n'y a rien à faire, je vous intrigue, et vous avez abandonné toute raison. Soit.
Un état second, disais-je, dans lequel je suis à moitié plongé. Ma main se déplace seule, écrit seule, les mots qui lui passent par les doigts. Mes yeux se ferment et le noir m'entoure. Cessez vos questions je vous prie ! Je ne dors pas, je ne rêve pas, pas encore. Laissez-vous plonger avec moi.
Je marche. Le long d'un chemin tortueux, je marche sans but. J'erre. Le rosé prédomine sur cette route ou les virages et intersections sont nombreux. C'est la première fois que je viens ici, le paysage ne me dit absolument rien. Aurais-je repoussé les limites de mon imagination ? J'accélère le pas, j'ai envie de voir ou ce chemin mène. Le sol est mou, j'ai tendance à m'enfoncer à chaque fois que je le touche, peut être devrais-je ralentir et marcher plus doucement, équilibrer mon poids ? Ou alors... Est-il possible de me mettre à voler ? Instinctivement, j'agite mes bras dans l'espoir de m'élever. Rien à faire, ma projection est soumise aux mêmes règles que celles de l'autre monde, du vôtre. Soudain je réalise que ma tentative d'envol me sera fatale. Je me suis enfoncé dans cette matière rosée jusqu'à la taille, et plus j'essaie de me relever, plus je m'enfonce. Mon excursion aura été plutôt courte aujourd'hui, vous m'en voyez désolé. Je pensais vous emmener un peu plus loin que cela, vous montrer des parcelles de mon monde, celui qui ne ressemblera à aucun autre, ce monde que je me suis construit sans vous, sans lois, sans contraintes. Ma bouche est maintenant prise, et bientôt ce sera mon nez. Je ne pourrais plus respirer. Mon corps est engourdi, je ferme les yeux et j'attends. Longtemps, très longtemps, la matière m'a entièrement recouvert, je me sens enfermé. Pourtant, ce que j'attends ne vient pas. Où sont les bruits de la ville que j'ai l'habitude d'entendre ? Où sont les lumières aveuglantes qui transpercent mes paupières, même la nuit ? J'ai l'impression que le noir m'entoure encore.
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La raison et les sentiments
Short StoryNe vous fiez pas au titre, ce n'est pas une nouvelle romantique. Je l'ai écrite il y a maintenant quelques mois. Je devais écrire une fin alternative, car l'actuelle semblait déranger pas mal. J'ai échoué, car malheureusement je la trouvais finie, e...