Partie II

80 7 9
                                    



   « Eh bien chevalier ! J'ai tout loisir de croire que nous cherchons exactement le même vaurien ! » s'exclama Géhonte dans un accès d'enthousiasme que l'enchanteur maudit intérieurement.

Les réactions de ce nigaud risquaient d'attirer Jean-Hardi dans leur propre expédition quand Alavare s'en dispenserait bien volontiers. Mettre la main au plus vite sur le julot n'impliquait pas la nécessité d'accepter le premier venu dans ses rangs, surtout lorsque celui-ci pouvait s'attribuer toute la gloire de la mission en cas de réussite ; il n'était en effet pas inconnu que les chevaliers aimaient s'enorgueillir de leur exploit à qui voulait l'entendre.

« Vraiment ?

— Absolument. Nous avons nous-mêmes fait l'objet d'odieux quolibets et l'académie est désormais résolue à mettre la main sur ce marsupiau. Malheureusement, notre archimage est convaincu qu'il se trouve dans l'enceinte de la citadelle alors que nous avons toutes les raisons de croire qu'il s'agit là de mauvaises plaisanteries lutines...

— Des lutins ?

— Tout à fait, messire. Ce sont sans nul doute les plus aptes à réaliser ce genre de mesquinerie.

— Mais desquels parlez-vous ?

— De Bois-Luron, évidemment. Vous en voyez d'autre ? » maugréa Alavare en se glissant dans une conversation dont il n'appréciait pas les auspices.

« C'est-à-dire que je n'en ai vu aucun »

L'enchanteur poussa un soupir d'exaspération envers cette discussion qu'il jugeait inutile à tout point de vue ; il n'était pas de bon aloi de mettre de la sorte sa patience à l'épreuve. Dialoguer avec le chevalier ne faisait pas partie de ses projets et se défaire de lui constituait maintenant une priorité, au risque de passer pour un lamentable goujat.

« Oui, bon... On s'en moque... On vous dit que ce sont eux, point barre », trancha-t-il dans un nouvel excès d'irrévérence et d'irascibilité auquel son interlocuteur resta équanime.

« Fort bien !

— À propos... De quelle calomnie avez-vous souffert ? », s'enquêta naïvement Géhonte.

Un long silence inconfortable suivit cette question. Si l'expression du visage de l'Emphatique ne pouvait se constater, il était malgré tout aisé d'en deviner l'humeur singulièrement désastreuse ; et quoique l'envie de le congédier ne l'eût pas quitté, Alavare pouvait bien daigner lui consacrer encore quelques minutes afin d'assouvir son indiscrétion coutumière.

« Vous me mettez dans l'embarras, car il ne s'agit pas uniquement de moi ! Mon absence de pudeur me conduirait au déshonneur !

— Oh ! Ça va ! Ne faites pas votre frileux là... On est entre nous, c'est bon. Confessez-nous cette abomination qui vous tient tant à cœur ! Vous vous sentirez mieux après, vous verrez... insista l'enchanteur, habité d'une fulgurante appétence sadique.

— J'en doute.

— Peu importe après tout. Dites et n'en faites pas un cas de conscience carnavalesque ! À moins que ça ne soit que la manifestation de la plus abjecte pleutrerie ! »

Une nouvelle vague d'hésitation secoua l'homme de guerre. Cette réticence manifeste provoquait un déluge d'hypothèses plus épouvantables les unes que les autres dans l'esprit des mages sur la nature de la médisance concernée et ils leur tardaient d'en connaitre le dénouement. Indubitablement, ce fut l'insinuation perverse de couardise qui détermina le chevalier candide à révéler son secret d'une voix étouffée :

Les Honteux de BarbegardeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant