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« Et trop souvent on fait semblant d'ignorer,

les choses qui nous sautent naturellement au nez. »



[ Attention, certaines descriptions de ce chapitre peuvent heurter la sensibilité de certains. Vous êtes prévenus. ]





13 JANVIER

Elle s'avança, d'un pas lent, hésitant, les mains crispées sur son sac en cuir bon marché. Elle fixait cette table au milieu de la pièce aux couleurs ternes. Il faisait froid dans cette salle, l'odeur était étrange, un mélange de désinfectant et de renfermé. L'atmosphère était pesant et calme, comme dans un cimetière, là où reposaient les morts. Le sentiment de sérénité était toujours présent, malgré une certaine sensation oppressante.

Sur cette table métallique était allongé un corps, un petit corps, frêle, comme celui de Nate, une bâche recouvrait tout le corps de l'enfant, sauf son visage, pour qu'Isabella puisse l'identifier. Elle n'osait pas encore s'approcher, le cœur serré dans sa poitrine, elle était comme paralysée par la peur de découvrir le corps inerte de son fils de cinq ans. Elle avait les yeux humides et le front luisant, comme si elle avait de la fièvre, la nuit avait été horrible mais la journée n'allait pas s'annoncer mieux.

Paul se tenait à côté d'elle, comme s'il était prêt à la rattraper si elle tombait. Un vrai garde-du-corps. Elle réussit à s'avancer, malgré les difficultés à cause de ses jambes fébriles et faibles. Elle ferma les yeux et prit une grande inspiration, elle expira lentement pour calmer les battements de son cœur qui se faisaient même entendre dans son crâne, comme des échos.

Elle rouvrit les paupières doucement et posa ses yeux sur le visage de l'enfant. Méconnaissable, c'était le mot approprié pour décrire le pauvre être sans vie allongé sur cette table.

Ses cheveux bruns étaient gras, des gelures avaient abîmé sa peau qui, avant, devait être douce et laiteuse. Ses lèvres étaient retroussées, gercées, coupées, fendues par le froid. Ses paupières closes montraient des veines violettes qui ressortaient comme si son sang avait gelé, coagulé. Sa peau avait perdu toute sa couleur, le mélange entre le blanc et le gris, la couleur d'un mort. Ce qu'elle remarqua, ce fut le nez de l'enfant, il avait été comme arraché, dévoré, mangé, mutilé, le contour en était bleu voire même violet et à quelques endroits, noir. Autour du cou de l'enfant, on pouvait facilement voir un bleu, comme si quelqu'un avait tenté de l'étrangler, laissant des traces de doigts distinctes dans sa peau, comme deux empruntes. Son oreille droite était coupée, comme s'il avait été torturé, mais ce pouvait aussi être le froid givrant.

— Vous le reconnaissez ? demanda le policier.

Sa voix résonnait dans la pièce, comme un écho dans l'esprit de Bella. Son cœur battait au ralenti à présent, comme si le temps s'était arrêté. L'image qu'elle avait en tête resterait gravée à jamais dans son esprit, comme un tatouage indélébile. Le choc était immense, c'était horrible à voir et sous l'angoisse et le dégoût, Bella n'arrivait pas vraiment à savoir si c'était Nate.

— Est-ce que... commença-t-elle, est-ce que je peux voir ses mains ?

— Madame...

— Montrez-moi ses mains, ordonna-t-elle.

Le Shérif autorisa le médecin légiste à découvrir davantage le corps fin de l'enfant, laissant alors apparaître ses petits bras minces. Des bras pleins d'ecchymoses, ses yeux s'arrêtèrent sur ses mains. Son cœur rata un battement, deux doigts manquant sur la main droite et un sur la main gauche. Elle détourna le regard. Prise d'une violente nausée, elle sortit rapidement de la pièce.

Sa respiration avait anormalement accéléré, elle s'appuya contre le mur, posa sa main sur sa poitrine et tenta de se calmer. Les larmes coulaient à flots, sans qu'elle ne puisse les retenir. Elle voulait juste confirmer ce qu'elle pensait, et c'était fait.

Paul sortit à son tour et posa sa main sur son épaule, elle se redressa et colla sa tête contre le mur, le cœur battant la chamade. Il lui frotta le bras en signe de réconfort, mais elle était inconsolable. Pas avec ce qu'elle venait de voir.

— Bella... commença-t-il.

— Ce n'est pas Nate, affirma-t-elle.

— Tu es sûre ?

— Oui, on dirait plutôt l'enfant de Miranda ; Evan.

— Nous l'avons justement appelée... elle ne devrait pas tarder.

Bella hocha simplement la tête.

— Ne lui montrez pas ses mains, elle n'a pas besoin de s'imaginer l'enfer qu'a pu endurer son enfant.

Paul soupira et baissa la tête.

— Où est-ce que vous l'avez retrouvé ? demanda Bella.

— C'est un randonneur qui l'a trouvé presque complètement ensevelie sous la neige.

— Paul, Nate va subir la même chose...

— Bien-sûr que non, on le retrouvera avant.

— Dis-moi comment ?

Elle s'était tournée vers lui pour sonder son regard, Paul avait de beaux yeux bleus. Il semblait triste lui aussi et sous le choc, personne n'aurait apprécié voir un enfant mutilé de cette façon.

— On trouvera un moyen.

— Le croquemitaine dévore les doigts et le nez des enfants, les parties les plus exposées aux gelures, assura-t-elle.

— Bella...

— Écoute moi bon sang ! J'ai rêvé de lui cette nuit. Ça semblait plus que réel. J'ai vu Nate, et... il me disait qu'il fallait que je le trouve, on aurait dit qu'il jouait. Mais je me pose la question : et si c'était un message ? Et si je devais réellement le retrouver ? Et s'il m'appelait à l'aide ? Et si je devais le suivre dans mes rêves ? Peut-être que je retrouverai sa trace...

— Bella, ce n'était qu'un rêve.

— Tu ne me crois pas...

— Excuse-moi mais c'est assez difficile. Enfant on avait tous peur du monstre sous notre lit... ça ne prouve rien. Les doigts coupés, le nez... enfin, c'est juste l'oeuvre d'un barbare. Un psychopathe !

— Comment il s'introduit chez les familles ? C'est quoi la trace de main qu'il y a sur le bord des fenêtres ? Pourquoi les loquets sont tous cassés de l'intérieur ? Tu peux m'expliquer ça ? D'après toi, c'est normal ?

— Je fais juste mon boulot, là-dedans, il n'y aucune histoire surnaturelle.

— Je me débrouillerai toute seule.

Elle lui tourna le dos et commença à avancer, Paul la retint en lui saisissant le poignet, elle se retourna brusquement face à lui en retirant son bras violemment.

— Ne me touche pas ! s'exclama-t-elle. Je te pensais être mon ami, je pensais que tu allais m'aider à retrouver mon fils ! Je te prouverai que c'est réel, quitte à y laisser ma vie, quitte à me faire enfermer en hôpital psychiatrique. J'en ai rien à faire, je retrouverai ces enfants. Vous ne faites rien pour ça, vous, vous retrouvez juste les corps sans vie de gamins de cinq ans ! Dehors, il y a des parents effrayés, démunis, tristes et anéantis et j'en fais partie ! Alors vas-y, retourne derrière ton bureau, le cul posé sur ta chaise devant ton ordinateur. C'est tout ce que tu sais faire, c'est tout ce que vous savez faire ! Bande d'incapables ! Tu ne vis pas ce que je vis, tu ne sais pas ce que je ressens. Laisse-moi faire ce qui me semble juste. Je retrouverai mon fils et les six autres enfants.

Sur ces mots elle sortit du poste sans lui jeter un autre regard, elle avait peut-être été dure dans ses paroles mais tout ce qu'elle demandait, c'était du soutien. Ce qu'elle voyait dans le regard de Paul, c'était du jugement, il la prenait pour une folle, cela pouvait se comprendre, elle avait perdu son fils. Mais elle savait qu'elle ne délirait pas.

Le temps était compté.

Il fallait qu'elle vive la peur pour retrouver le bonheur...


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En vous remerciant d'avoir lu !

Boogeyman (DISPO POUR HALLOWEEN 🎃)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant