2.

912 17 12
                                    


«L'espoir est une mémoire qui désire.»

Honoré de Balzac.


...


La journée passa rapidement et la soirée se présentait déjà. Il était 18 h. Je ne la vis qu'une fois aujourd'hui dans les couloirs bondés de monde du lycée, entre deux cours, à 14 h, durant une pause. Nos regards s'entrecroisèrent pendant quelques secondes, le temps de me laisser contempler ses magnifiques yeux noisettes qui brillaient, soulignés par la longue robe bleue pâle qu'elle portait, puis nous continuâmes notre chemin ; même pas un bonjour,rien, chacun allant à l'opposé de l'autre. Cela se passait comme ça, à chaque fois. Il n'y avait plus aucun petit reste de ce que nous avions vécu ensemble, lorsque l'on était encore à l'école primaire, lorsque nous étions «meilleurs amis pour la vie» et que nos parents s'invitaient toutes les fins de semaine autour de grosses grillades. Ces mêmes grillades durant lesquelles nous jouions ensemble, à tout et à rien, nous amusant avec un morceau de bois ou bien alors avec les jouets de nos parents que nous n'étions pas sensés toucher, sans pour autant savoir ce à quoi ils servaient réellement...


«Terry !? Prépare toi, on va bientôt y aller ! Entendis-je au loin venant d'une des autres pièces de la maison.

- Oui la gueuse c'est bon ne t'en fais pas ! Affirmais-je alors, sans me préoccuper réellement de ce que ma mère avait pu entendre.»


Je venais de lasser mes chaussure et de mettre mes longs bandages blancs aux mains alors qu'en fond dans ma chambre la musique résonnait,tout aussi calme qu'agressive et provocante, me conditionnant pour ce qui m'attendait. J'étais prêt. Le sac que j'avais préparé à l'avance était posé là dans le seul coin libre de la pièce, en-dessous d'un vieux cadre abîmé, avec en photo à l'intérieur un grand boxeur ; c'était la seule réelle décoration de ma chambre à vrai dire. Je fumais, soufflant lentement la fumée pâle un peu partout autour de moi, tentant de réaliser des cercles parfaits,mais en vain évidemment. Le ventilateur toujours aussi bruyant au plafond besognait difficilement à rafraîchir l'air de la pièce et l'ampoule de l'une de mes seules lampes commençait à ne plus fonctionner, s'allumant, s'éteignant, puis se rallumant, et ce à plusieurs reprises. Il faisait assez sombre, l'ambiance était froide, triste, pesante. Mon téléphone se mit à vibrer de multiples fois.


«PlanQ» 18h07 : Slt Terry! Cmt ça va ?

«Vous»18h07 : Bonsoir Emma, ça va bien, tu veux qu'on se voit c'est ça ?Tu sais j'ai pas le temps là hein j'ai entrainement.


Ce message que j'avais reçu, pensais-je, allais illuminer un petit peu ma fin de journée.


«PlanQ» 18h09 : Hmm à vrai dire pas vrmt, mon copain a cramé nos rdv..J'pas envie de le perdre alors heum tu comprdns ce serait bien qu'on arrête un peu de se voir.. Le tmps de calmer les choses avec luiquoi.

«Vous» 18h10 : Quoi mais qu'est-ce tu racontes arrête les conneries

«Vous» 18h10 : De tte façon est-ce que tu l'aimes vraiment ton mec ? Il a pas l'air de te satisfaire hein..

«PlanQ» 18h12 : Ms Terry on ne se voit maintenant que pour baiser, c'est fini tte l'amitié qu'on avait avant qnd on était gamin et puis on ressens pas grnd chose l'un pr l'autre alors c'est pas la fin dumonde.

«Vous» 18h12 : Et tout c'que tu m'as dit quand on le faisait c'était dans l'vent c'est ça enft si je comprends bien ? Pff tu m'déçois aller

«PlanQ» 18h14 : J'te comprends pas là on s'était mis d'accord sr la relation qu'on avait pourtant. On s'adresse mm pas la parole au lycée on s'dit juste bjr vite fait..

«PlanQ» 18h14 : Je te rappellerai fais moi confiance, passe une bne soirée.

«Vous» 18h16 : Nan attends !

«Vous» 18h26 : S'il te plait...

«Vous» 18h30 : Ok..


Il n'y avait pas grand monde. J'étais épuisé, vidé de toute force, et pourtant, le claquement violent de mes gants sur le sac de frappe,usé par le temps, résonnait encore fortement dans toute la salle à chacun de mes coups, accompagnés par les encouragements de mon entraîneur, qui me poussait encore et toujours plus loin à chaque fois. Ce son m'avais toujours plu, depuis tout jeune – tout comme ce sport d'ailleurs –. J'enchaînais, gauche, gauche, puis droite,puis crochet, en pensant. En pensant à tout, et en me souvenant ; en pensant à tout, et en espérant. Je me rendis compte que peut-être je ressentais quelque chose envers Emma, certainement pas de l'amour,je l'avais déjà connu ce sentiment il y a quelques temps, mais quelque chose de plus abstrait encore, quelque chose de différent.Elle, son corps, allaient sûrement me manquer... Nos parties de jambes en l'air aussi d'ailleurs...

La séance de deux heures et demi se termina enfin. Je suais fortement,si bien que l'odeur de mes vêtements plus qu'humides se répandit dans toute la maison, participant au dégoût collectif que ressentait ma famille. Et je m'observais, longuement, nu devant la grande glace de la salle de bain, attendant patiemment que le bain se remplisse.J'observais ce corps qui semblait ne pas être le mien tant il plaisait – pour être honnête, je manquais beaucoup de confiance en moi – à la gente féminine. L'eau bouillonnante coulait petit à petit, laissant se dégager du bain une fine buée blanche. J'avais la chance d'être de forme assez angulaire, mes épaules étaient carrées, mes pectoraux aussi, et tout le reste de mon corps d'ailleurs. Je voyais se refléter dans le miroir mes abdominaux,saillants et gonflés, mes muscles obliques, mes fesses rebondies, et les quelques veines qui ressortaient sur mes avant-bras et mes biceps fatigués de l'effort. La sueur sur mon corps laissait timidement se réfléchir sur ma peau la douce lumière blanche de la lampe dans la pièce... J'appréciais cette vision de moi, j'étais satisfait.

Le bain était prêt, je m'y allongeai, puis fermai les yeux durant quelques minutes.


Mon téléphone sonna, plusieurs fois. Le temps que je puisse l'atteindre en allongeant mon bras épuisé, il s'était arrêté. J'avais reçu un message d'un numéro inconnu.



 «0694523810» 21h03 : Rdv demain, rue de l'Aube, 3ème banc après le cinéma, 22h.A l'heure où les bons gens se couchent, les autres s'éveillent. Etc'est à cette heure que ton regard devra se porter.

Charnelle.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant