IV

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Elle dort contre mon épaule, sa main dans mes cheveux. Elle les aime beaucoup, et passe son temps à les toucher.

Ses bouclettes brunes retombent sur ses épaules, frôlant les miennes de leur douceur. Je les caresse délicatement, enroulant mes doigts dans ses boucles, comme je le faisais avec lui. Je pose ensuite ma main sur sa joue chaude, sa peau brûle la mienne en diffusant une chaleur réconfortante jusqu'à mon cœur.

Je ferme les yeux, les tressautements du tramway me bercent et le sommeil m'attire dans ses profondeurs sombres et inquiétantes.

Sur le quai de la gare, les trains criaient, les alarmes appelaient les condamnés. Daniel et Michel se tenaient devant moi. Ils cachaient leur terreur derrière un masque de sérénité.

Il y avait tant de choses que j'aurais dû leur dire, mais comment trouver les mots justes quand votre vie est au bord du précipice ? Rage, colère et désespoir se disputaient en moi, tandis que je ne trahissais aucune émotion. Seuls mon cœur gonflé et mes yeux humides pouvaient témoigner de mon chagrin. Mais comment faire face à la situation ?

Michel réagit le premier. Sans un mot, il s'approcha de moi et me serra fort contre lui. Malgré mes membres tremblants, je l'enlaçai contre mon cœur que la peur avait brisé.

Par dessus l'épaule de Michel, j'aperçu le sourire crispé de Daniel. Il me souriait, comme s'il voulait me persuader qu'il n'avait pas peur. Sans doute voulait-il me faire accepter l'idée qu'ils partaient à la guerre pour affronter des ennemis, des ennemis qui n'étaient même pas les nôtres d'ailleurs. Il était courageux, bien plus que je ne l'étais.

Dans ce monde cruel, les femmes volontaires devraient avoir le droit de partir combattre à la place de leur mari, de leur père, de leur frère, de leur fils ou encore de leur meilleur ami.

Je n'imaginais pas un seul instant sans eux. L'idée que je puisse vieillir seule alors qu'eux pourraient demeurer éternellement jeunes me hantait... Cette idée me hante toujours d'ailleurs.

Michel se détacha de moi en collant un dernier baiser sur ma joue. Une larme coula, un cœur s'envola. Je me jetai au cou de Michel, puis à celui de Daniel, que j'embrassai follement.

Je profitais de ce contact, qui pouvait être le dernier. Daniel m'entoura de ses bras musclés aussi désespéré qu'un condamné devant le peloton d'exécution. Il caressa doucement mon ventre et je posai ma main sur la sienne, qui s'était immobilisée.

Je plongeai mon regard dans le sien, qui était larmoyant. Il posa son front contre le mien, et me donna le baiser le plus doux qu'il ne m'avait jamais donné. Je sentis des larmes couler sur mon visage et un sanglot m'échappa. Il enleva ses lèvres des miennes pour effacer chacune de mes larmes.

Je posai ma tête sur son torse, et j'entendis son cœur battre rapidement contre ma joue. Je me refusais à imaginer que c'était la dernière fois que je le voyais. Je jetai un regard à Michel, qui lui aussi commençait à cligner des yeux. J'essayai de lui adresser un sourire, qui ressembla davantage à une grimace. Il m'en retourna un, empli de tristesse.

Je me séparais de mon univers, laissant une part importante de mon cœur dans leurs yeux.

Je les revois encore se diriger vers le train de leur destinée. Nos yeux se croisèrent une dernière fois et le train s'ébranlait à toute vitesse. J'étais restée là, le souffle court, une main posée sur mon ventre. Serons-nous à nouveau un jour réunis tous les trois ?
                                 ***

L'allée des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant