Le défilé au pied du lit Part 2

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Le défilé au pied du lit

Le rire est le propre de l'homme. En revanche, la gloutonnerie était celui des femmes Rompiballi.

Chacune d'entre elle était venue au monde avec un cerveau en forme de rumen et un tube neural en forme d'intestins.

Lorsque ma mère mitonnait un gigot d'agneau, le repas allait être rempli de bruit et de fureur. Pour ma mère, ma grand-mère et ma sœur, ce met affichait une magnitude de dix sur dix sur l'échelle de Frichti. Ces trois-là en allaient jusqu'aux mains pour s'accaparer les meilleurs morceaux. Et elles auraient été capables de se trucider pour mettre la dent sur la souris d'agneau. Durant les agapes, nous n'étions épargnés ni par les grognements, ni par les bruits d'os broyés, ni par les glapissements joyeux, ni par les particules de gras, de couenne ou de tendons qui voltigeaient dans les airs, pareils à des étincelles sous le marteau du forgeron.

Après accouchement, ma mère fut prise de boulimie. Il fallait qu'elle se remplisse, pour combler mon absence dans son abdomen.

En une journée, sa silhouette avait repris ses rondeurs d'antan. Henri, son petit frère, lui apportait de la nourriture type aligots, foie-gras, andouillettes AAAAA, truffades pour améliorer les menus de l'hôpital.

Le soir, mon père faillit ne pas la reconnaître. Il allait faire demi-tour en s'excusant de s'être trompé de chambre lorsqu'une voix grinça.

- J'espère que tu n'as pas oublié de m'amener le dernier numéro de « Point de vue » !

Elle lisait cette revue orléaniste depuis sa création en février 1952 et n'avait jamais manqué un seul numéro. La vie des têtes couronnées la faisait fantasmer.

Retranché dans mon landau, à deux pas du lit de maternité, j'observais l'auteur de mes jours avec une curiosité craintive. C'était de loin l'être le plus étrange qui m'ait jamais été donné de contempler depuis que mes yeux s'étaient habitués à la lumière du jour et aux images qu'ils reflétaient.

- T'arrête de me regarder avec tes yeux de merlan frit ! gronda-t-elle en s'apercevant de mon manège.

- Je ne peux pas te regarder avec mon derrière ! voulus-je lui répondre. Mais, mes cordes vocales n'étaient réglées que sur le mode : « OUINUOINOUIN ».

Je ne détournais pas mon regard comme elle l'eut souhaité et je comprenais soudain le sentiment de malaise mêlé de bizarrerie qu'avait dû ressentir le capitaine John Hunter, gouverneur de Nouvelles Galles du Sud, lorsqu'en 1799, il posait pour la première fois son regard sur l'ornithorynque, alors inconnu des Européens.

***

Lorsqu'elle n'eut plus de larme pour pleurer sa mère, l'auteur de mes jours me décréta coupable de cette soudaine disparition.

- QUAND Y'EN A UN QUI VIENT, Y'EN A UN QUI PART !

Les vieux dictons populaires ne mentent jamais.

Durant l'antique Rome, le culte de Mithra se propagea dans tout l'empire. Il s'agissait d'une initiation pour acquérir l'immortalité. On sacrifiait un taureau afin que l'initié soit déclaré « René pour l'éternité ». Ma mère s'appelait Renée et moi, j'étais né sous le signe du taureau.

Elle me sacrifiait donc dans l'espoir de faire renaître sa mère.

Le père Leroux, son confesseur, assistait ma mère en ces moments de grande perturbation mentale. Penché sur elle, il se frappait le poitrail en psalmodiant comme un disque rayé, « MEA CULPA, MEA CULPA, MEA MAXIMA CULPA »....

- Vous comprenez mon père, s'il n'était pas venu au monde, elle serait encore là ma mère.

Le père Leroux, qui en avait vu des vertes et des pas mûres fit un signe de croix. Il n'osa contredire son ouaille. Il était certes prêtre, mais pas exorciste. Il invoqua donc Saint Mathurin, patron des fous et des épouses insupportables et lui demanda de prendre le relais.

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42 rue RamponeauWhere stories live. Discover now