Vive la Communale Segment sans titre5

3 0 0
                                    



À l'école communale de la rue Ramponeau, mon voisin de pupitre s'appelait Vermandel. Il me faisait penser à une grosse limace, car un appareil orthodontique le faisait baver en permanence.

Un jour, comme ça, à brûle-pourpoint, je lui avais dit « Souffle dans l'encrier » et l'abruti avait immédiatement obéi à mon ordre.

Tel un céphalopode benthique en colère, l'encrier avait pulvérisé un nuage sépia au visage de son agresseur. Au passage, quelques gouttes avaient taché ma blouse.

Quand ma mère s'enquit du pourquoi de ces taches, je lui avouais la vérité, parlant de dommages collatéraux. Elle hurla alors que ce n'était pas moi qui payais le blanchisseur, en conséquence de quoi elle allait me flanquer une bonne « tourlousine ».

Ma mère était une adepte des sévices corporels. L'arme suprême de son arsenal pénal ; un vilain petit martinet qu'elle entreposait dans le placard d'entrée. Chaque fois qu'elle me caressait les côtes avec ce damné instrument de torture, j'en arrachais une lanière.

En matière de cadeau, mon oncle Henri avait parfois des idées de génie. Pour Noël, il m'avait offert une panoplie de gladiateur. Elle comprenait le casque de mirmillon, le bouclier, les jambières, les brassières et le glaive. Je l'avais tout de suite déballé et essayé, elle m'allait comme un gant, à croire qu'elle avait été faite sur mesure.

Je m'élançais immédiatement vers mon coffre à jouets, sortais en hâte puis enfilais ma panoplie de mirmillon. Une fois bardé et paré, j'attendais de pied ferme, cette secutor enragée.

- Je te conseille de bien numéroter tes abattis ! gronda-t-elle en faisant tourner les lanières du martinet au-dessus de sa tête comme les pales d'un hélicoptère.

Elle chargea en hurlant « Haro sur le baudet ». Les longes de cuir frappèrent le dos de mon scutum (bouclier). Elle cogna une nouvelle fois. Je parais l'attaque de mon glaive. Elle tenta de m'atteindre au niveau des jambes, mais c'était sans compter sur mes ocreas (mes guêtres de cuir).

Le quatrième coup visa mon bras gauche, sauf que je l'avais protégé par une solide manica et les lanières du petit fouet multiple ne rencontrèrent qu'une protection de cuir renforcée de fer.

La castagne allait tourner au vinaigre lorsque mon père rentra. Il regarda avec surprise son épouse qui grondait, crachait, vitupérait et se faisait pipi dessus. Il crut bon de citer Horace.

- Tu disais ! grinça Madame, en laissant échapper de la vapeur de ses naseaux, telle une locomotive à vapeur.

- La colère est une courte folie ! répéta mon père avant d'aller s'enfermer dans la lecture de « L'assommoir » d'Emile Zola, un auteur qu'il relisait en boucle.

***

C'est à l'école communale de la rue Ramponeau que je retrouvais Gérard Frydman, l'un de mes amis de toujours.

C'était, comme moi, un bagarreur impénitent.

Après les cours, nous allions toujours jouer sur un terrain vague dont l'accès s'ouvrait rue des Couronnes. C'est là qu'Albert Lamorisse avait tourné « Ballon rouge ». Gérard et moi avions l'âge de Pascal Lamorisse, et nous aurions pu faire partie du lot des bambins du film.

L'endroit était dangereux, sa courbe descendante était des plus raides ; en courant, on aurait pu choir et se fendre le crâne sur cette surface inégale et inhospitalière. À son extrémité nord, des taudis en ruine jalonnaient l'escalier qui connectait la rue Piat à la rue Julien-Lacroix. Des clodos y vivaient sous la menace permanente d'un effondrement des toits ou des murs sur leurs têtes.

42 rue RamponeauWhere stories live. Discover now