Le jour d'après - SEGMENT 3

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Un visage rond se pencha sur mon berceau. Il obstrua la vision imprenable que j'avais du plafond, de ses imperfections et de ses mouches qui y crapahutaient.

Je l'examinais d'un œil critique.

La fillette de onze ans avait une touche bleuâtre autour des yeux. Les filles raffolent de ce genre de peinture faciale. Et cela renforça dans mon esprit, la corrélation qu'avait établie Kandinsky, au Bauhaus, entre formes géométriques et couleurs ; pour lui le cercle et le bleu marchaient de pair ; en plein dedans.

Liliane me détailla d'un regard critique. Elle fronça les sourcils et demanda d'un ton geignard.

- C'est « ça », mon p'tit frère ?

- Hélas.

Ma mère avait expiré sa réponse, ainsi qu'une mourante

rendant son dernier souffle.

Pour lui redonner goût à la vie, ma sœur lui tendit une

caissette contenant des pâtisseries.

- C'est Tonton Henri qui les a achetées pour toi.

Ma mère fit sauter les rubans puis éventra le carton avec ses

ongles acérés. Les pâtisseries disparurent en un clin d'œil ;

c'est à qui des deux en avalerait le plus. Liliane

remporta le tournoi haut la panse.

***

Au deuxième jour, Geneviève Denisot, cousine germaine de ma mère, nous rendit visite. Elle était flanqué d'Henri, son notaire de mari, de vingt ans son aîné, et de Jean son fiston un peu attardé.

Alors que Geneviève se penchait sur l'accouchée, pour lui lécher la trogne, comme font les clébards pour exprimer leur affection, Henri présenta sa note d'essence à ma mère.

Déformation professionnelle, l'homme ne pouvait s'empêcher de facturer des honoraire ; tout le monde y avait droit. Un clampin lui demandait son chemin dans la rue, il n'obtenait sa réponse qu'après s'être acquitté de la facture.

Léontine prit la note de frais, y jeta un coup d'œil puis la rangea soigneusement dans la poubelle, au grand dam du notaire.

L'avarice de Léontine équivalait celle d'Henri. Cependant, il y avait un champ sur lequel ils s'entendaient à merveille celui de la politique.

Au début des années 30, Henri avait fait partie des Croix-de-Feu. De son côté, ma mère avait toujours admiré le colonel François de la Rocque, fondateur de cette association d'extrême droite.

Le fiston vint saluer ma mère. C'était un grand dadais rendu autiste par l'amour démesuré que sa mère lui vouait et par le mépris que son père, vieillard acariâtre sans indulgence pour autrui, lui dédiait. Il ne parlait pas, sauf pour répéter des « ben tiens, ben tiens » en secouant la tête en signe d'accord.

Seul, mon père, était parvenu à le dérider, lui parlant tiercé. L'autre, fou de steeple-chase, s'animait soudain et parlait d'une voix semi-automatique :

« Pour ce premier quinté du nouveau mois de septembre qui arrive, c'est la vitesse qui sera prédominante concernant le quinté avec un parcours de 1400 mètres et des chevaux de trois ans et plus au départ ! »

- Alors ça va, mon grand ? demanda ma mère qui se foutait du tiers comme du quart de la réponse du dadais.

- Ben tiens, ben tiens ! répondit-il en secouant sa tête de haut en bas.

42 rue RamponeauWhere stories live. Discover now