1 mars
Jamais passé une soirée aussi fatiguante.
J'étais presque contente quand j'ai pu quitter ma meilleure amie et son espèce de beau - frère.
Je me demande si je ne préfère pas deux heure de contrôle d'histoire.
Au moins, le contrôle , quand il est raté, on le sait tout de suite.
Heureusement que nous sommes allés au cinéma. Dans le noir, personne ne remarque vos cheveux moyens, votre peau moyenne, vos yeux moyens.
Personne ne veut que vous fassiez la conversation.
Personne n'attend que vous soyez drôle et intelligente.
Au cinéma, tout le monde se fiche que vous soyez là personne la plus moche et la plus inintéressante de la planète.
Tout ce qu'on vous demande, c'est de vous asseoir et de vous taire.
Je devrais passer ma vie dans les salles obscures.
À condition de ne pas acheter d'affreux pop-corn collants.
J'ai renversé mon cornet dans mon fauteuil avant même d'avoir enlevé mon manteau.
Pas question d'attirer l'attention en me lançant dans un grand nettoyage.
Je me suis assise stoïquement dans un nid tiède et sucré.
Et je n'ai plus bougé de la séance.
Chaque fois que je remuais une fesse, je sentais un pauvre pop - corn s'incruster dans mon pantalon.
Le pop - corn qu'on écrase sous la fesse craque avec un horrible petit bruit.
On dirait qu'il crie.
Quand les lumières se sont rallumées, j'avais le derrière constellé de maïs éclaté. Je remis mon manteau pour cacher les dégâts et nous sommes sortis dans l'anonymat le plus complet.
Les pop - corn se sont progressivement détachés sur le chemin du retour.
Je les semais derrière moi au rythme de mes pas.
Par chance, les pigeons ne m'ont pas repérée.
Je n'aurai pas supporté d'avancer au milieu d'une nuée hystérique de volatiles crasseux.- On va boire un pot? a proposé Marceau.
Je suppose qu'il voulait se montrer aimable avec Lola.
Ce n'est pas le charme de ma conversation qui pouvait lui donner des idées.
Je n'avais pas ouvert la bouche de la soirée.
Trop peur de dire une bêtise.
De faire une gaffe.
De commettre le lapsus irréparable.《Merdi beaucu, mon cher Marteau.》
C'est si vite arrivé.
- Allez - y sans moi, ai - je soufflé entre mes dents tandis que les pop - corn pleuvaient mollement autour de moi. J'ai un contrôle de maths à réviser.
- Quoi? a fait Lola, les points sur les hanches, la tête sur le côté, les sourcils froncés (elle fait très bien Columbo quand elle veut).
J'ai serré les lèvres et agité les bras comme si j'avais l'intention de m'envoler direct, là, sur place.
- Si elle a du boulot... a remarqué Marceau. On ferait pareil à sa place. Tant pis, ce sera pour une prochaine fois.
J'ai encore vaguement bougé la tête en signe d'au revoir et j'ai filé.
Ils m'ont regardée partir sans faire un seul geste pour me retenir.
Je me suis empêchée de courir.
M'étaler de tout mon long aurait fait mauvaise impression, sans compter l'effet pop - corn.
Total, je suis revenue chez moi dans un état de dépression intense.- Déjà? a fait ma mère en me voyant entrer.
- Pitié, ai - je dit, et je me suis enfermée dans ma chambre.
Je n'avais plus qu'une chose à faire.
Et je l'ai faite.
Réviser.2 mars
C'est vérifié : je préfère le contrôle de maths . Au moins, on ne vend pas de pop-corn à l'entrée.
Si j'ai bien compté, je dois dépasser la moyenne. Pas de beaucoup, mais quand même.
Ma vie amoureuse est un marécage.
Mais j'aurais dix en bonus de consolation.
Franchement, ce n'est pas comme ça que je voyais mon avenir.
Je suis maraboutée.