1 février
Ma vie est un conte de fées.
Je vois un type.
Il disparaît.
Je ne connais pas son prénom.
Pas son nom.
Pas son adresse.
J'attends qu'il me retrouve.
Mes chances sont nulles.
Peut - être avec une peau d'âne écorché sur le dos?
Qui peut me présenter un âne?2 février
En ce qui concerne ma carrière scolaire, je crois que je ferais aussi bien de travailler dans une porcherie.
Travail immonde.
Résultats immondes.
Solitude immonde.
Remarques immondes à longueur de journée.
Il ne manque que l'immonde peau d'âne mort et le seau pour ramasser les crottes.3 février
L'avantage de Peau d'Âne, c'est d'être fille du roi. Mon père fait portier dans un hôtel. Socialement, ça réduit mon champ de manoeuvres. D'un autre côté, même portier, je je n'ai jamais eu l'impression qu'il envisageait sérieusement de m'épouser. Vu que ma mère a survécu à sa gastro, j'aime autant.
J'ai bien une marraine, une copine de ma mère un peu hors d'âge. Mais je suppose que, si elle était fée, même à moitié, elle commencerait par trouver un mec à elle.
Lola ne m'a pas appelée depuis trois jours.4 février
Si la déception amoureuse ne me tue pas avant, il est probable que mon bulletin m'aura à la fin du mois.
Si je n'en meurs pas, je pourrai peut - être rentrer dans le livre Guiness des records. Le plus mauvais bulletin de l'histoire universelle du bulletin.
À ce niveau, être nulle, c'est presque une gloire. Quand un prof me rend ma copie tartinée de rouge, j'ai l'impression qu'il n'est pas loin de m'admirer.
Il lève le sourcil, il a une sorte de sourire. Il pose délicatement la copie sur sur la table et retourne à son bureau (forcément, je suis la dernière, après moi, c'est le bureau ).
Le tout sans un mot.
Conclusion: tant de nullité lui coupe le sifflet. Il m'admire, quoi.4 février au soir
À propos d'âne, ce n'est pas la peau que je vais avoir. C'est le bonnet. Parfait.
Quel prince charmant voudrait d'une fille qui porte un chapeau poilu avec des oreilles?
Avec les princes apparemment, c'est toute la peau ou rien.5 février
J'ai renoncé à mon honneur. J'ai appelé Lola. Elle a fait celle qui ne se doutait de rien. Elle ma parlé de son père. De la vieille petite amie. De son collège. De son bouton sur le front. Du journal de vingt heures. Et pas un mot de qui vous savez, soit Merveille-Sans-Nom. C'est de la cruauté, je ne vois pas d'autre mots. Mais je ne lui ai pas donné le plaisir de m'aplatir devant elle. Je l'ai écoutée débiter ses stupidités. J'ai même rigolé. À la fin, j'ai raccroché. Je l'ai bien eue. Si elle voulait que je m'effondre, c'est raté.
Quand je pense que j'ai cru qu'elle était mon amie...
Idiote que je suis.
Mais c'est fini, je ne l'appelle plus.
Jamais.
De ma vie.10 février
Je n'ai plus envie de parler à personne. D'ailleurs, je ne parle plus à personne. Même plus à la glace de la sale de bains.
L'effet est sidérant : personne ne s'en est rendu compte.
À part toi, peut - être, vieux journal, mais comment savoir?
Je pourrais vivre seule dans une cabane au milieu des bois, ce serait pareil.11 février
J'avais prévu une vie amoureuse brève. Mais à ce point, c'est supersonique.
11 février, plus tard
J'ai parlé au miroir de la salle de bains. Les journalistes s'inquiétaient à mort de mon silence. J'ai essayé de les rassurer, mais j'étais tellement énervée que j'ai abrégé l'entretien.
Même moi, je me trouve moche.
Pourquoi faut - il qu'on ait un nez?
Des cheveux?
Des genoux?
Où est l'imbécile qui a dessiné le prototype?