Chapitre 1 : Souvenir

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                      Aussi loin que le permet ma mémoire, mes souvenirs remontent à l'âge de mes trois ans. Nous, c'est-à-dire mes parents, mon frère et moi-même, logions dans une de ces vieilles habitations au style purement landais, chaux et poutres de bois. Notre maison était intemporelle quoique remise au goût du jour, elle avait traversé les âges, du moins quelques décennies sur deux ou trois siècles tout au plus. Mais ce que j'aimais par-dessus tout, c'était le calme et la plénitude qui y régnait : elle avait été bâtie au cœur de la forêt, au temps où nos ancêtres communiaient avec la nature loin de toute cette agitation du monde d'aujourd'hui. Mon père était garde forestier, d'où cette habitation insolite et loin de tout et ma mère nous élevait mon frère Tom et moi. Mon enfance fut normale, c'est-à-dire choyée et aimée par les miens. J'étais un brin sauvage, indépendante et solitaire, aimant autant que possible me balader au milieu des pins et de la bruyère. La maison était située non loin de Biscarrosse, petite ville de 10 000 âmes, tranquillement coincée entre le bleu profond de l'Atlantique, le vert de la forêt landaise et le jaune sable des dunes, le tout virevoltant au gré d'un air blanc rempli d'écume. Ces quatre éléments de la vie sur Terre réunis pour mon plus grand bonheur. C'était mon chez moi et je m'y sentais bien, vraiment bien. Alors que mon frère aîné ne pensait qu'aux joies de la vie urbaine, je passais mes journées, seule, la plupart du temps, à traîner dans la forêt, à dévaler les dunes et profiter du doux air chargé d'embruns ramené sur nos rivages par l'océan. Tom, lui, était d'une nature plus instable, son univers se devait d'être en perpétuel mouvement et il aimait la compagnie humaine. Je n'étais pas complètement réfractaire à la vie « normale » de tous les autres enfants de mon âge et aimais profiter des joies de l'art sous toutes ses formes, peinture, musique, danse mais aussi l'architecture comme celle qui faisait vivre les rues bordelaises et qui me transportait dans des rêveries de vies passées. J'aimais cette ville réputée pour son art de vivre, ancrée dans le bras de son fleuve majestueux. L'art nous anime, il s'adresse à nos cinq sens et nous plonge vers des abîmes émotionnels. Je n'ai jamais été intéressée par ce qui occupait les jeunes de mon âge ; je me sentais à part, comme en marge de tout ce qui animait les autres.

J'avais presque seize ans en ce matin de février et je demeurais la même à quelques détails près.

Je partis au lycée ce matin-là, de très bonne heure puisque ma montre n'affichait pas encore tout à fait sept heures, trop heureuse de pouvoir profiter des jours qui commençaient à rallonger. J'aimais être seule au petit matin, la fraîcheur sur mon visage me réveillait en douceur pendant ces vingt minutes de marche. On était début février et les mimosas commençaient à fleurir. Leur odeur emplissait mes narines de leur parfum miellé et sucré. Je m'arrêtai et fis gonfler mes poumons les emplissant de cet air délicat. Toute la nature s'éveillait : les arbres étiraient leurs branches sur lesquelles les oiseaux chantaient la douce mélodie du réveil matinal et les biches ou autres renards sortaient de leurs habitations respectives et s'affairaient à leurs occupations sauvages. Je me sentais en communion avec tout ce petit monde, saisie d'un sentiment d'appartenance à leur milieu autant qu'au monde des hommes.

Mon lacet défait, je m'accroupis pour le replacer lorsqu'une grive musicienne vint se placer devant moi, à quelques centimètres de mon pied.

― Bonjour toi ! lui lançai-je. La grive me regarda et partit aussitôt.

Cet oiseau me rappela soudainement ce qui m'était arrivé l'année de mes trois ans. Je souriais à ce souvenir, car personne n'avait cru une petite fille, et même encore à ce jour, je ne savais toujours pas si cela relevait d'un rêve ou d'une hallucination. Par un bel après-midi d'été, nous nous promenions avec maman dans les bois environnants la maison. J'échappais souvent à la vigilance de mes parents pour courir après une libellule ou un papillon. Ce jour-là, c'était une sauterelle qui avait retenu toute mon attention et je la suivis, jusqu'à être hors de portée des yeux de maman. Je m'accroupis à genoux pour l'attraper en formant une coupe avec mes mains mais elle m'échappa ; à la place de cet insecte, je tombais nez à nez avec un petit oiseau qui me regardait de ses tout petits yeux ronds. Il ouvrit son bec, et à mon grand étonnement, articula un bonjour d'une minuscule voix cristalline. J'écarquillai les yeux mais aucun son ne put sortir de ma bouche, je pris peur et l'oiseau s'envola plus craintif que moi. Je courus vers ma mère et lui racontais mon histoire, elle me qualifia de petite fille à l'imagination débordante et cela en resta là. Je pense souvent à cette expérience étrange qui m'en rappelle tant d'autres, je me sentais spéciale et cela me plaisait d'y croire.

Poussière d'étoiles, les nébuleuses diffuses      Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant