Double Je - Aaron (Tome 1)

Chapitre 3 - Aaron

Je pénètre dans le hall démesuré de Craster Company. Tout y est luxueux. Le sol est entièrement en marbre de Carrare et une fontaine centrale accueille les visiteurs de son chant mélodieux. Le bruit de mes pas résonne dans la vaste pièce. D'un geste de la main, je salue rapidement les quelques visages connus avant de me diriger vers l'ascenseur.

Je m'arrête à côté de l'accueil et gratifie l'hôtesse d'un grand sourire. Elle rougit aussitôt et replonge son petit nez retroussé dans ses papiers. Je sais à quel point elle en pince pour moi et j'ai d'ailleurs prévu de l'inscrire à mon tableau de chasse. Une grande blonde plutôt mignonne. Elle doit être un peu coincée au lit mais je saurai sans aucune peine la dévergonder. De par mon expérience, je sais par avance si une femme sera un bon coup ou non. Dans son cas, je pense qu'elle se situera dans la moyenne.

Sans m'arrêter, je continue mon chemin et, à peine trente secondes plus tard, je suis déjà dans l'ascenseur, en route pour mon bureau. Comme pour mon appartement, il se trouve au dernier étage de l'immeuble. J'y dispose d'une magnifique vue sur le parc qui s'étend juste derrière Craster Company. Je n'ai pas à me plaindre de mon environnement de travail même si, parfois, certaines personnes se complaisent à jouer avec mes nerfs.

Prenons par exemple Jimmy. Le voilà qui m'accueille à la sortie de l'ascenseur avec l'un de ses sourires forcés, me posant la main sur l'épaule comme si nous étions amis.

– Ça fait plaisir de te voir, Aaron. J'espère que tu es en forme aujourd'hui.

Assez en forme pour t'enlever ton sourire de faux-cul.

– Oh, ne t'en fais pas pour moi.

Je lui parle froidement. Cela n'a pas l'air de le contrarier. Il me sourit toujours, m'emboîtant le pas comme un gentil toutou.

– Je te laisse le temps de t'installer et je viendrai te voir tout à l'heure, me déclare-t-il en s'arrêtant devant la porte de son bureau.

Je ne lui réponds pas et continue à avancer. Au moment où je pénètre dans le mien, je tombe nez à nez avec ma secrétaire personnelle. D'ailleurs, je dois vous avouer que durant une nuit nous avons enfreint les limites d'une collaboration professionnelle. Elle avait d'ailleurs voulu approfondir notre relation mais j'ai refusé. Lui laisser partager mon lit était bien suffisant.

– Bonjour monsieur Craster, je vous apporte votre café, lance-t-elle d'une voix tremblante avant de sortir de mon bureau.

Je la regarde en haussant un sourcil et la laisse claquer la porte derrière elle. Je me dirige alors vers la grande baie vitrée.

Il va falloir qu'on ait une petite discussion tous les deux.

Mon regard se perd dans le paysage somptueux qui s'offre à moi. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel et ses rayons donnent à l'étang des couleurs tout simplement éblouissantes. J'ai l'impression de contempler un grand tableau de maître.

Je pense que tu t'emportes un peu, Aaron. Tu devrais te concentrer sur ton dossier en cours.

Je tourne le dos à la vue et m'assois à mon bureau, dans mon grand fauteuil en cuir. J'entends frapper à la porte.

– Entrez !

Elle s'ouvre timidement, laissant apparaître ma secrétaire. Elle porte un petit plateau entre ses mains. Je la regarde intensément. Ses yeux sont fuyants. Elle reste concentrée sur la tasse de café comme s'il s'agissait de la huitième merveille du monde.

Je n'aime pas cette situation. Mes doigts commencent à tapoter le bois de mon bureau.

– Votre café, monsieur Craster.

Toujours sans me regarder, elle se poste à côté de moi et se baisse légèrement pour déposer le plateau. Elle se penche assez pour que je puisse plonger les yeux dans son décolleté. À croire qu'elle cherche encore à m'aguicher.

– Ashley, asseyez-vous, je vous prie.

Elle se fige littéralement lorsqu'elle entend ces mots sortir de ma bouche. Je la regarde toujours sans broncher et elle ne trouve pas mieux que de fixer ses mains qu'elle triture nerveusement. D'un signe de tête, elle acquiesce et part s'asseoir sur l'une des chaises en face de mon bureau. Je la vois déglutir péniblement. Elle ne me regarde toujours pas.

– Pour commencer, regardez-moi. Il est particulièrement malpoli de ne pas fixer son interlocuteur et je pense que vous devez le savoir.

Mon ton est ferme. Ashley relève la tête et esquisse un léger sourire. Mais ce n'est pas un sourire franc. Il masque simplement le malaise que je peux sentir en elle. Elle reste maintenant là à m'observer bêtement, attendant la suite.

– Je n'ai qu'une question à vous poser. Souhaitez-vous continuer à travailler pour Craster Company ?

Je la dévisage et vois une lueur naître dans ses yeux. Je peux dire sans me tromper qu'il s'agit d'une peur réelle.Ses lèvres s'entrouvrent et se mettent à trembler :

– Je... Bien sûr que je veux continuer à travailler pour vous, monsieur Craster.

– Alors, je ne vous donnerai qu'un conseil. Mettez vos émotions de côté et arrêtez d'agir comme si j'allais vous planter un couteau dans le dos à la première occasion.

Ma réponse semble la déstabiliser. Le sol exerce de nouveau sa force d'attraction sur son menton.

– Comprenez-vous ce que je dis ou dois-je me montrer plus clair ?

Ashley réagit instantanément à ma phrase. Elle redresse la tête et plonge son regard dans le mien.

– J'ai compris monsieur Craster et je suis désolée pour mon comportement de ces derniers jours. Je veillerai à ne plus vous décevoir.

– Très bien. Vous pouvez disposer. J'ai du travail qui m'attend.

Mon air indifférent la blesse mais elle essaie de ne plus le montrer. Sûrement la peur de perdre son emploi. Elle se lève sans protester, un sourire forcé au coin des lèvres.

Ils se sont donné des cours avec Jimmy ou c'est juste une impression ?

Sans ajouter un seul mot, elle se tourne et marche vers la sortie de mon bureau, espérant sûrement que je ne l'interpelle pas.

Je n'ai évidemment pas de temps à perdre. Je dois boire mon deuxième café de la journée et peaufiner mon dossier en cours avant que mon adjoint ne daigne montrer le bout de son nez. D'ailleurs, je suis déjà en train de relire mes notes lorsque j'entends la porte claquer.

Ashley vient tout juste de sortir.