3. Mika

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Il s'est passé un truc vraiment étrange. Je ne sais pas trop comment je me sens avec ça... En même temps je suis folle de joie, en même temps ça m'intrigue et à la fois ça m'énerve...
Ça m'énerve, ça, c'est devenu ma réaction principale quand quelqu'un me parle de mon passé... C'est devenu tellement un sujet de moqueries, genre bête de foire, genre "c'est vrai que...?!" ou "je te crois pas, c'est impossible!"
Alors ça m'énerve. Ca m'énerve de ne pas être comme les autres, ça m'énerve de devoir m'afficher, ça m'énerve qu'on s'intéresse trop à moi. J'aime pas avoir l'attention sur moi! C'aurait dû être Nathalie avec mon passé et moi avec le sien! Elle aurait été heureuse, je lui aurais pas volé la vedette de son grand cinéma!
Donc, d'habitude ça m'énerve. Mais cette fois pas.
En général, je coupe court à la conversation, coupe la parole aux curieux, je les laisse s'imaginer ce qu'ils veulent, ça cultive le mystère et c'est pas plus mal. D'après Lola, en tout cas, "les garçons aiment les filles mystérieuses"! Mais jusqu'ici j'étais tellement mystérieuse que j'étais plutôt inexistante.
Et voila qu'hier, alors que j'étais assise seule dans le canapé de Nathalie, observant le monde devant moi, quelqu'un s'est assis à mes côtés.
J'avais les yeux rivés sur Chloé discutant naïvement avec Jonathan, qui lui, ne rêve que de se la taper, comme à chaque soirée avec une fille différente. J'avais envie de lui dire : "tu peux toujours essayer mon gars, naïve oui, mais de là à te laisser faire, crois-moi, t'es loin d'y arriver! Je la connais, elle a du caractère malgré tout!" et j'ai sursauté en entendant une voix à ma droite.
- Tu t'amuses pas.
Je me suis retournée. Mika. Une cigarette à moitié consumée entre les doigts. Je me suis dit "eh merde". Encore un mec bourré et lourd. Il va se moquer de moi? C'est Nathalie qui l'envoie? Il va m'inventer quoi.
- Si.
- Non, je le vois.
- Si tu veux...
Il m'a regardé avec un sourire en coin. Ce regard qu'ont les mecs trop sûrs d'eux quand ils sont bourrés et d'adressent à une fille... Peut être que vous le connaissez, il est universel.
Il a observé cinq minutes puis cherché ses mots.
- Qu'est-ce que... Tu fous ici?!
Je n'ai pas compris sa question.
J'ai détourné le regard en murmurant :
- J'ai été invitée, malin.
La vérité c'est que j'étais vexée. J'aurais pu l'ignorer, mais j'avais besoin de faire valoir ma place parmi eux.
- Nan. Ahah. Ici. Chez nous quoi. A ValSoleil.
Je l'ai regardé, outrée.
- T'es un sal petit con, Mika. Retourne avec ta gonzesse de merde!
J'en revenais pas. Je pensais "quel salaud, quelle sous merde, quel trou du cul"!
Il a continué :
- Attends, Nina! Attends! T'as pas compris.
Là, alors que j'allais me lever, j'ai été comme électrocutée. Une petite décharge, certes, mais un fourmillement qui m'a clouée sur place. Mika s'était adressé à moi en m'appelant par mon prénom. Lui qui ne m'avait jamais adressé le moindre regard, cette fois, il avait prononcé mon prénom avec une certaine clarté dans la voix, une certaine fermeté, une certaine sincérité même. Je me suis rassise. Je me suis retournée vers lui. Je l'ai simplement regardé. Hop, son sourire vainqueur lui est revenu et j'ai regretté de ne pas être partie.
- Ma question... C'était qu'est-ce que tu fous dans ce trou de bourges, toi qui...
- Mik !! Je te cherchais partout! Viens, j'ai mis notre chanson, chéri!
Nathalie avait débarqué, ne me prêtant pas la moindre attention, m'éjectant ainsi à nouveau dans mon inexistence. Elle a attrapé Mika par la main pour l'emmener danser. Dans le mouvement, j'ai cru voir qu'il m'adressait un clin d'œil.
Je les ai suivi des yeux. Mais c'était trop pour moi de les voir se pavaner devant tout le monde. Oui vous êtes beaux, oui vous êtes jeunes, oui vous êtes riches et oui vous êtes prometteurs!
- Viens Chloé, on se casse.
Je l'ai attrapée par le bras et je suis allée vers le vestiaire chercher ma veste. Quand j'ai ouvert la porte, le spectacle était assez navrant... Sur un tas de manteaux et vestons éparpillés par terre et sur un bureau, les fesses à l'air, Lola et Jérémy.
- Putin vous êtes sérieux? Vous faites chier!
Jeremy s'est levé et a ramassé une veste pour cacher son anatomie. J'ai cru reconnaître celle de Zoé, une pouffe, j'aurais beaucoup ri si j'étais pas aussi énervée et abasourdie.
Lola a ramassé son pantalon. Trop tard. Elle a pouffé de rire. Chloé est arrivée derrière moi en disant :
- Qu'est-ce qui se passe Nina? Je m'amuse moi... J'aimerais... Oh putin.
Et c'est rare qu'elle jure ainsi.
Jérémy cherchait toujours des yeux son jeans. Lola nous regardait tout en se retenant de rire, cachant simplement son bas ventre avec son pantalon en boule. Les seins à l'air. Chloé a soufflé dans mon cou:
- Ah ouais je me disais aussi que la musique devenait nulle... Le dj était occupé à autre chose...
Moi:
- Cette soirée, c'est vraiment n'importe quoi... J'me casse!
Je suis partie sans prendre le temps de chercher ma veste, de toute façon je ne suis plus sure d'en vouloir.
Chloé me suivait en trottinant, essayant d'arriver à ma hauteur:
- Nina! Nina! Attends. Attends-moi.
Finalement, une fois à l'extérieure de cette maison puant le frique, je me suis retournée.
- Excuse-moi, tu peux y retourner, je vais rentrer seule. J'en ai trop marre de ces gens!
- Non... Je m'amusais pas vraiment, je vais rentrer avec toi.
On a marché en silence. Les mots de Mika tournaient dans ma tête... "Qu'est-ce que tu fous dans ce trou de bourges toi qui..." Toi qui quoi?! Qu'allait-il me dire? C'est étrange... Un mélange de haine à son égard et à l'évocation de leur couple mielleux, et de curiosité...
Dix minutes après, on est arrivées devant la maison. Toujours pas une parole échangée. J'ai repensé à ma tante, qui était sortie de la voiture d'un autre homme cet après-midi... J'ai regardé Chloé. Autant ça me rendait triste, autant je sais qu'elle, ça l'aurait dévastée.
- Chlo... Excuse-moi pour mon caractère de merde...
Elle a souri, gênée.
- Dis pas ça! T'es juste...
Elle n'a pas terminé sa phrase.
On s'est regardées. On a souri. Elle a enchaîné :
- Non mais Lola et Jérémy! Ensemble! J'en reviens pas!
- Ma vieille, me dit pas que tu ne savais pas qu'ils couchaient à deux!!
- Tu sais bien, je suis toujours la dernière au courant moi!!
- Je pense qu'on peut oublier nos vestes!!
- Oui, par contre, je propose qu'on ne dise rien à Nathalie... Ahahaha.

Quand je me suis réveillée au petit matin, j'ai eu envie de traîner au lit. C'était un matin lumineux de juillet, tous les oiseaux de ValSoleil s'étaient réunis sous ma fenêtre pour un concert de piaillements à n'en plus finir. Merci les gars. Je me suis étirée et j'ai regardé autour de moi cette belle chambre que j'avais la chance d'avoir, éclairée par les premiers rayons du soleil. Le lac est à environ un kilomètre de la maison mais quand il fait calme, on entend les enfants jouer autour, les chiens des joggers aboyer quand ils se croisent, et parfois même quelques canards. J'étais occupée à écouter tout ça en me disant que les vacances quand même, qu'est-ce que c'est bon! Plus de préoccupations, vivre à son propre rythme, se laisser aller, sans pression. Les préoccupations, ça me fait toujours penser à ma mère. À ma vie d'avant. Je chasse cette pensée quand elle s'impose à moi. Mais il m'arrive aussi d'y réfléchir plus en profondeur. J'essaye de comprendre tout ça... Comment je suis arrivée là? Comment deux mondes si proches peuvent s'opposer à ce point tout en se côtoyant de si près? Est-ce que j'ai eu de la chance de passer de l'un à l'autre? Oui très certainement... Peu en ont l'occasion... Et ma vie ici est rêvée... Mais quelque chose en moi, encore et toujours, sait très bien que je ne suis pas d'ici, que ce n'est pas mon monde, pas mon destin. A ValSoleil, ce sont des filles et fils de... Moi je suis la nièce de... La nièce de Pierre et Hélène de Pauw, respectivement éminent chercheur en médecine, travaillant sur la guérison des cancers, et actrice non-accomplie.
Je ne suis que la nièce, et même si ma famille me traite comme leur fille, il est évident que contrairement à celle-ci, mon avenir n'est pas tout tracé... Contrairement à tout le monde, je n'ai pas le moindre plan de carrière, même pas la moindre idée.
Et soudain, je comprends ce que Mika a voulu dire, je le devine! "Qu'est-ce que tu fais dans ce trou à bourges toi qui..." ... Toi qui à le droit de partir. Toi qui peut vivre autre chose. Je repense à son regard, qui ne se pose jamais sur personne, et qui s'est posé sur moi hier. Je repense à ce regard et je me dis que peut-être que c'est "autre chose" que Mika cherche...

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