Chez Patrice

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Gabriel rajusta sa cravate devant la porte en plastique vert criard. « Chez Patrice ». Un de ces bar/tabac/PMU dont Raphaël et Michel étaient férus, et qui lui donnait invariablement la nausée. Il prit son courage à deux mains, poussant simultanément la porte et un soupir résigné. Ça sentait fort le tabac froid, la bière renversée et certaines autres fragrances auxquelles il essaya de ne pas prêter attention. Au moins c'était fumeur. Ses deux collègues étaient déjà attablés, leurs verres déjà entamés. L'endroit était bondé et personne ne remarqua son irruption. Tout les regards était rivés sur les télés murales. Le patron comprit. Jour de match...

Gabriel se faufila vers le bar et frappa le zinc de ses phalanges pour attirer l'attention du vieux croulant qui tenait l'établissement.

— Oh ! S'cusez-moi, j'vous avais pas vu ! s'écria-t-il, sans trop se détourner de l'écran. Je vous sert quelque chose ?

— Vous avez quoi comme whisky ?

— Hem... T'endez voir que je regarde, c'est pas tous les jours qu'on me demande ça. Fronçant les sourcils, il se pencha pour ouvrir un petit placard sous la machine à café. J'ai du Jaunie Woquère, ça vous va?

Gabriel leva les yeux au ciel.

— Johnny Walker ? Vraiment ? Vous n'avez rien d'autre ?

— Ah ben non, mais y a du pastis, de la...

— C'est bon, pas la peine, servez moi ça, ça ira. Double, avec glace. Sur l'ardoise de Michel, tiens. Ça lui apprendra à m'inviter dans un... Bref.

— On ne va quand même pas en venir aux mots. Voilà, un double, avec les meilleurs glaçons de la maison, pour un client difficile. Et profitez bien du match !

Gabriel s'empara de son verre glacé dans un grand geste dramatique, et se glissa entre les tables pour rejoindre ses collègues.

— Gabi ! s'écria le grand gaillard en bermuda et maillot de Saint-Étienne. T'as failli rater le début ! Ça a été la guerre pour te garder une chaise. Pose-toi donc. Raph ! Fais lui de la place.

Gabriel se laissa tomber sur la chaise de plastique inconfortable.

— Salut Michel. Salut Raphaël.

Le dénommé Raphaël se contenta de lui faire un petit signe de tête, avant de se replonger dans la contemplation d'un point un peu à l'écart de la télé. Michel quand à lui s'était rivé à nouveau sur l'écran. Gabriel laissa tomber sur la table une blague à tabac et entreprit de se rouler une cigarette.

— Tu m'en fais une aussi ?

— Raph... Je ne suis pas ton larbin. T'es tout à fait capable de rouler tes propres clopes.

— Mieux que toi, même. J'avais juste la flemme.

Gabriel pouffa. Raphaël ne changerait jamais. Pas en mille ans. Il poussa la blague à tabac vers son tire-au-flanc de collègue, craqua son Zippo pour allumer sa clope, prit une petite gorgée de whisky bas de gamme et leva enfin les yeux vers le match. Il n'avait rien raté. Godefroy venait à peine de passer l'arche d'Al-Aqsa.

In Nomine PatriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant