In Nomine Patrice

Grain de sable

Gabriel fronça les sourcils. Qui était ce Baudoin...

— Hé, Gab, c'était prévu ça ?

Michel le fixait d'un regard concerné.

— Prévu, prévu... Les choses ne se passent jamais comme prévu. Si cette baudruche de Payens n'était pas un tel amateur de jeux de mots pourris, ce serait déjà expédié.

— C'est maintenant que tout part en couille.

Raphaël et son immuable optimisme.

— Y a pas de raison, c'est juste un contretemps.

Raphaël se tourna vers lui, goguenard.

— Tu as raté le début. Je te gardais la surprise.

— Y a une surprise ? s'exclama Michel, sans détourner le regard de l'écran.

— Allez, Gabriel. Tu connais bien un Baudoin...

Le frère cadet de Godefroy s'appelait Baudoin. Régent d'Édesse au bord de la Mer Noire. Il ne pouvait pas être ici avec Godefroy. À moins que ce dernier ne se soit méfié des templiers...

— Pas Baudoin de Boulogne quand même ?

— Bingo ! Et tu te rappelles son arme de prédilection ?

Une rumeur excitée parcourut l'assemblée. Levant les yeux vers le petit écran, il vit que le moine-archer embusqué était au sol en convulsion dans une mare de sang.

***

Il fallut quelques secondes à Baudoin pour extraire son arme du coffre dans lequel ils l'avaient amenée. Sa tenue légère d'écuyer lui permettait de se déplacer rapidement et en silence. Il se rua à l'intérieur, la crosse calée sur l'épaule. Il courut comme une ombre du couvert d'une colonne à une autre, se faisant une idée de la disposition des lieux. Apercevant au loin la silhouette d'un homme sans armure, pas Godefroy, il se plaqua au sol, épaulant son arme, et pressa la détente alors que le moine-chevalier bandait la corde de son arc. Ce dernier reçut le carreau dans l'abdomen avant d'avoir pu ajuster son tir. Sa flèche alla se perdre entre les colonnes. « Les archers sont d'une lenteur à la détente... » marmonna Baudoin.

« Et les arbalétriers doivent remonter leur arme entre deux tirs. » murmura une voix derrière-lui. Se retournant en sursaut, il vit que le Grand-Maitre en personne se trouvait à deux pas de lui, épée au clair, prêt à frapper. Baudoin épaula nonchalamment son arbalète, « Pauvre imbécile, se moqua le templier, je viens de te voir décocher. » et lui tira un carreau dans la cuissarde, lui arrachant un cri de douleur et de stupeur.

« À moi, Godefroy ! Je tiens notre ennemi. » et se tournant vers le Grand-Maitre qui s'était affaissé, livide : « T'as donc jamais vu une arbalète à répétition ? J'ai trouvé celle-là dans le butin de la ville d'Édesse. »

— C'est pas vrai !

Gabriel s'était levé de la table, furieux, alors que la partie du bar qui avait parié sur les deux croisés éruptait en applaudissements.

— D'où il sort, ce frère prodigue ? s'emporta-t-il, Et une arbalète à répétition ? C'est pas juste en Chine qu'ils ont ça ?

— On dirait que non, commenta platement Raphaël.

— C'est tout ce que t'as à dire ! Si De Bouillon sort vivant d'Al-Aqsa, et avec le trésor des Templiers en poche, il va écraser les Perses. Il va se prendre pour Alexandre. Il ne s'arrêtera qu'au Japon !

— Qu'est ce que tu veux qu'on y fasse ? La dernière lubie du Vieux a fait boule de neige. C'est pas de notre faute. À moins que tu ne te sentes coupable d'avoir trop bien inspiré le pape Citadin.