La grande salle du temple impie était bardée d'une forêt de hautes colonnes qui lui donnait un air d'église byzantine. La ressemblance était troublante. Les hautes fenêtres à vitraux laissaient entrer une abondante lumière, qui n'était que peu atténuée par l'incroyable espacement entre les colonnes. Par quel sortilège cet édifice ne s'écroulait-il pas sous son propre poids ? Godefroy s'abstint de lever le nez comme un ahuri. Ce serait rendre trop d'hommage à l'ingéniosité des infidèles. Sa stupéfaction devait tout de même être apparente, car une voix retentit :
— Impressionnant n'est-ce pas ?
Godefroy s'arrêta brusquement. Le moine devant-lui fit de même sans se retourner. La voix semblait venir de tous côtés. Il n'y avait aucun écho.
— L'acoustique n'est pas mal non plus, continua l'inconnu. Cette fois, Godefroy reconnut la voix du jeune et impétueux Grand-Maitre de l'ordre des chevaliers du temple.
— Hugues de Payens ! Que signifie cette mascarade ! Montre-toi afin que je puisse te saluer.
— Godefroy de Bouillon ! Le sire au nom duquel je m'esclaffe sans coup-férir. Te voila grand seigneur. Roi de Jérusalem ! Que peux-tu bien vouloir aux pauvres chevaliers du Christ ?
Godefroy serra les dents. Son sang se mit à bouillonner dans ses veines. Comment cet insolent pouvait-il ainsi lui manquer de respect ? Depuis sa plus tendre enfance, on s'était moqué de son nom. Le moine qui le devançait disparut derrière une colonne alors qu'il préparait sa répartie.
— Assez ! Jérusalem n'a qu'un seul roi et tu le sais. Comment oses-tu blasphémer ainsi ? Montre-toi et cesse tes moqueries !
— Que de bouillonerie, mon cher Godefroy ! Ne perds donc pas patience. Bientôt tu me verras de plus près que tu ne le souhaites. Mais laisse-moi d'abord me régaler un peu de cette aubaine. Le seigneur barbu de Barbant dans ma demeure ! Je me dois d'en profiter un peu.
La main gantelée de fer de Godefroy empoigna la garde de son épée.
— Brabant, impudent ! Mon fief est le Brabant !
***
Un vacarme de rire bon-enfant secoua le bar. Celui qui riait le plus fort était de loin Michel.
— Vous avez entendu ça ? s'écria-t-il, avant de rugir d'hilarité à nouveau.
Raphaël, se son côté, souriait jusqu'aux oreilles, remarqua Gabriel. L'humour d'Hugues de Payens n'était probablement pas de son gout, mais il se réjouissait par avance de la scène qui ne manquerait pas de suivre. Gabriel s'accouda à la table. Ces imbéciles ne se rendaient pas compte. Ce match était l'aboutissement d'une complexe stratégie. Et tout allait se jouer dans les quelques minutes à venir. Pas de quoi rigoler. Même s'il était vrai que la situation était à se pisser dessus.
***
— Oh ! Le sire veut croiser le fer ! s'écria la voix faussement apeurée du Grand-Maitre toujours invisible.
— Tu paieras pour cet affront, Maraud !
— Pas trop cher je l'espère. J'en ai encore en réserve pour Godefroy le Bouffon.
— Ne sais-tu pas à qui tu t'adresses, Judas ? Moi qui ait vaincu les armées infidèles assemblées par le diable ? Ne sais-tu pas que je suis invaincu sur le champ de bataille ? Elles sont nombreuses, les rumeurs qui courent sur moi. Sache qu'elles sont toutes vraies ! Mon bras est si puissant que je tranchai un homme en deux par la taille au siège de Damas. Mon cœur est si téméraire que je triomphai d'un ours sauvage au corps à corps dans les Ardennes !
— Oh, peu me chaut la rumeur, Godefroy au sang chaud. Je ne suis, après tout, que l'instrument du Seigneur.
Une ombre apparut entre deux colonnes, suivie de la silhouhette d'un templier en armure.
» Et il me fait te transmettre un message, par l'intermédiaire de l'ange Gabriel. Ton épopée s'arrête ici. Je vais faire un bouillon du Godefroy !
Les deux épées jaillirent de leur fourreau.
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In Nomine Patrice
Short StoryL'an 1100, Jérusalem. L'archange Gabriel veut réparer la gaffe du siècle dernier en tentant de mettre fin à la trop réussie première croisade. Mais on ne contrôle pas les affaires humaines si aisément.