Ana

Chapitre 5

Une nouvelle fois Ana était plongée dans son cauchemar. Piégée aurait d'ailleurs était plus exact. Elle savait que son unique échappatoire serait la mort de l'enfant, qui la ferait se réveiller haletante et terrifiée. Cependant elle sentait que cette fois-ci était différente. D'abord elle ne sut pas définir ce qui avait changé. La course-poursuite, le chute, tout semblait identique. Enfin elle comprit que ce n'était pas la scène qui avait changé mais bien elle-même. Elle n'était plus cette entité extérieure, survolant la scène. Cette foi elle se tenait là, ses pieds plongés dans l'épaisse couche de neige qui lui piquait la peau. La petite fille s'était effondrée à quelques pas d'elle seulement et était désormais assise dans la neige. Elle regarda furtivement autour d'elle, ses prunelles voilées par la panique. Lorsque ses yeux rencontrèrent ceux d'Ana, elle se figea. 

Elle me voit ... 

C'était la première fois que la jeune fille avait la possibilité d'interagir avec celle qui peuplait ses songes. Cette dernière semblait d'ailleurs vouloir dire quelque chose mais ses lèvres restaient obstinément collées l'une contre l'autre, la réduisant au silence. Résignée, elle se contenta du lien que créait leur regards entremêlés. Dans ces yeux on pouvait lire une abnégation totale, une confiance aveugle en ce qui l'attendait ; elle semblait avoir mille ans. Ana était pétrifiée. Elle avait la désagréable impression que l'enfant plongeait jusqu'aux tréfonds de son âme, lisant en elle aussi facilement que s'il s'était agit d'un des livres d'aventure qu'elle affectionnait tant. 

Mais le feu de son regard faiblit rapidement, vite rattrapé par la langueur qui prenait possession du petit être. Ses paupières se fermèrent lentement brisant le contact fragile qui les avait unies plus tôt. Ana se rapprocha doucement, les muscles noués par l'évidence. Elle se baissa et effleura la peau translucide. Elle était froide et dénuée de vie. Se sentant incroyablement coupable elle tomba à genoux, ses yeux se gonflant de larmes contenues tandis que sa gorge se nouait douloureusement. À nouveau elle haletait, peinant à reprendre son souffle. Ce fut dans une plainte déchirante que ses barrières cédèrent, laissant un torrent de larmes dévaler le long de ses joues. Cela faisait tellement mal ...

* * * * *

« Mademoiselle ? Mademoiselle ! »

La pauvre Rose était paniquée. La belle jeune fille qu'on avait confiée à ses soins refusait de s'éveiller malgré ses efforts. Il y avait encore quelques minutes elle se reposait paisiblement, apaisée par les potion de Gerda, mais désormais elle semblait se battre contre une puissance invisible. Elle se débattait en tous sens, laissant échapper d'étranges plaintes tandis que son visage se couvrait de perles salées. 

La servante ne savait quoi faire. Elle hésitait entre attendre que la crise passe et aller quérir de l'aide, peut-être même celle du maître. Incapable de se décider elle était pour le moment immobile au milieu de la pièce, ses yeux fixés sur la mince silhouette qui semblait souffrir de bien étranges maux. 

  « Mademoiselle je vous en prie réveillez-vous ! » Supplia-t-elle.

La jeune alitée hurlait à présent. C'était un cri perçant, aiguë, qui recelait tant de souffrance que Rose recula comme frappée. Désormais décidée à demander de l'aide, quitte à en subir les conséquences, elle fit volte-face et se précipita vers la porte. Perturbée, elle ne se rendit pas tout de suite compte du silence prodigieux qui était tombé sur la pièce à l'instant même où sa main s'était posée sur la poignée. Elle se retourna pour faire face au lit.
La jolie blonde lui faisait désormais face, assise au milieu des draps blancs, tel un ange perdu. Oui c'était exactement l'impression que Rose avait. Elle ne savait d'où venait sa patiente mais elle ressentait le besoin irrépressible de s'incliner devant la pureté de ces traits qui accordait à la personne qui les portait une aura presque divine. Troublée elle fit une révérence rapide, gênée d'avoir observé la visiteuse d'une façon aussi impudente.