CHAPITRE 1

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Allongée dans son lit, elle regardait le plafond. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle était persuadée qu'il lui permettait de mieux réfléchir. Sa blancheur immaculée lui rappelait une page blanche qui n'attendait que des mots pour l'habiller. C'est un peu comme cela qu'elle qualifierait sa vie en ce moment : une feuille blanche de laquelle on vient d'effacer des dessins ou des mots qui nous représentent, mais dont on ne distinguera plus les marques quand d'autres prendront leur place.

Elle tourna la tête et soupira, 00h22. Comment était-elle supposée être en forme pour un nouveau départ alors que le décalage horaire perturbait son horloge interne depuis deux semaines ? Pour se changer les idées, elle fit une liste mentale des points positifs à changer de lycée, de ville et de pays : pouvoir se réinventer, pouvoir... Non, en fait c'était tout, il n'y avait rien d'autre. Elle se leva, énervée, se dirigea vers son bureau et arracha le film plastique autour de la ramette de papier, et sortit un stylo. Sur la feuille, on distinguait une écriture mal-soignée par le manque de luminosité et par la frustration. Malgré cela, on pouvait tout de même lire aisément ce que la jeune fille avait inscrit :

LISTE DES POINTS NÉGATIFS

- Ne plus pouvoir voir ses amis (même si Skype existe)

- Parler une autre langue (même si j'ai fait anglais LV1 au collège et anglais renforcé et que je suis maintenant bilingue)

- Ne connaître personne

- Subir le regard des autres comme si j'étais un extraterrestre (parce que venir d'un autre pays ça intrigue)

*********

- Julie ? Julie c'est l'heure...

Elle ouvrit doucement les yeux en grognant qu'elle voulait dormir, mais sa mère s'obstinait. Quand elle fut bien réveillée, elle vit le regard de sa mère sur la feuille griffonnée qu'elle s'empressa d'attraper et de déchirer, mais ce geste fut inutile : sa mère l'avait déjà lue et on pouvait nettement distinguer dans ses yeux gris à quel point elle se sentait coupable. Pourtant, elle ne dit rien et embrassa sa fille comme pour se faire pardonner. Julie ne bougea pas d'un pouce quand sa mère lui chuchota que le petit déjeuner était prêt, et elle écrasa les morceaux de papier entre ses doigts pendant que son cerveau s'amusait à inventer des dizaines de scènes concernant cette abominable journée de rentrée. Après un intense soupir, elle se leva et se rendit dans la cuisine. Là, elle fit le tour de la table et embrassa son père avant de s'asseoir. Elle sentit le regard de ce dernier sur elle et redressa la tête et leva un sourcil interrogateur.

- Ça se passera bien trésor... Pourquoi tu t'inquiètes ? C'est l'occasion de repartir à zéro, se réinventer, ne pas reproduire les erreurs du passé...

- C'est justement ça le problème, je n'ai commis aucune erreur ! Peut-être que vous vous pouvez repartir à zéro ; toi, maman, tu as le poste dont tu rêvais et toi, papa, tu peux tout recommencer grâce à maman ! Mais moi ! Moi, j'ai seize ans ! J'avais mes amis, ma vie était à Saint-Germain-en-Laye, on devait fêter l'anniversaire de Chloé, de Lucas et tous les autres. Vous avez gâché ma vie parce que vous êtes égoïstes !

Consciente d'être ridicule, elle baissa la tête et continua de manger. Un silence de plomb régnait et cela devenait pesant. Lorsqu'elle eut fini, elle se mit debout et s'excusa avant d'aller prendre sa douche.

Elle ne faisait que de se répéter que tout se passerait bien, mais rien n'y faisait, les pires scénarios tournaient dans sa tête en un flot ininterrompu comme l'eau chaude qui ruisselait agréablement sur son corps. La seule différence était que ce sentiment de bien-être pouvait s'arrêter d'une pression sur le robinet contrairement à ses pensées. Lorsqu'elle se décida à sortir, elle fut prise d'une atroce envie de vomir, mais elle se reprit.

Les SagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant