Chapitre 1: Matinée de rêve

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Je passe la porte du corridor, Adrien sur mes talons. Je vais déposer à l'accueil mon chèque pour la cantine. A chaque fois je me dis que mes parents se font voler : soixante-neuf euros pour vingt repas. Et dire qu'il y a deux ans le prix était seulement à soixante-deux euros. Un bruit aigu me vrille soudain les oreilles et je sursaute, surpris. Je sens une main se poser sur mon épaule. Je tourne la tête afin d'apercevoir Adrien de face. Celui-ci me dit à demi-amusé :

-C'est l'heure de ton cours préféré Marc !

-Non..., fais-je en exagérant le mot pour l'appuyer le plus possible.

-Et si, c'est l'heure de l'histoire !

Dépité, je me dirige avec lui vers le troupeau d'élèves composant ma classe. Je les observe et me dirige derrière Adrien vers mes amis. Je répète mon « salut ! » à chacun tout en leur serrant la main. Je discute avec quelques-uns des week-ends que nous avons passé, puis je leur demande :

-Au fait, y avait un truc à faire en histoire ?

-Non, réplique Tristan de sa voix grave.

Tristan était un garçon mesurant un mètre soixante-dix, les cheveux blonds et courts, des yeux bruns. Il avait le torse et les bras musclés, ce qui faisait, je ne sais pourquoi, rêver les filles. Il était sympathique et il formait avec Adrien mon groupe de meilleurs amis. On partage beaucoup de choses ensembles, mais surtout nos points de vue sur les filles, ce qui tourne vite en délire le plus total pour le reste de la journée.

Le professeur arrive avant que je puisse ajouter quoique ce soit. C'était un vieil homme, toujours avec un sac à dos sur l'épaule droite. Il avait les cheveux gris, des rides sur son visage qui montraient son âge déjà avancé. Il était petit pour un homme, je dirais à vue d'œil qu'il mesure un mètre soixante-cinq. Je le trouve plutôt sympathique, le seul problème étant qu'il l'est en dehors de la classe et non pendant le cours. Sans un mot, il se dirigea vers le grand bâtiment gris qu'était mon collège. Il laissa passer l'afflux de sixième suivant leur professeur avant d'entrer par la porte à son tour et de monter les escaliers menant au premier étage. A la suite d'une ascension périlleuse dans des escaliers bondés de collégiens, nous arrivons devant la classe. Cette classe que je déteste tant, cette classe où j'ai toujours l'impression de perdre mon temps, cette classe qui me tue un peu chaque fois que j'y mets les pieds : La classe numéro 106.

Après cinq minutes debout à attendre le silence, le professeur nous dit enfin que nous pouvons nous assoir. Il projette son cours au tableau et nous fait copier ces centaines et centaines de lignes me semble-t-il tout en expliquant et en faisant de tant en tant une blague ou un jeu de mots totalement nul. Le cours qu'il s'exerce à nous expliquer parle de la décolonisation de l'Inde, sujet qui ne m'intéresse absolument pas. Je me force malgré tout à écouter pour éviter de me faire prendre mon carnet pour que le professeur y fasse une énième remarque sur mon « comportement dispersé en cours d'histoire ». Le cours me semblait s'éterniser lorsque la sonnerie retentit. Je range mes affaires lorsque j'entends « contrôle lundi prochain ». Je prends alors un air désespéré et demande au professeur ce que tout le monde espérait « Ne serait-il point possible, avec votre plus grande gratitude, de déplacer le contrôle Monsieur ? ». Il me répond par un mouvement de tête négatif, ce qui m'arrache une lamentation provoquant le sourire du professeur. Je me dirige alors vers Tristan et Adrien pour les presser un peu de sortir de ce purgatoire.

Les cours de la matinée se déroulent normalement, je survis au cours de français et de musique sans m'être trop ennuyé. Me voilà maintenant assis au fond de la salle de classe de mathématiques finissant rapidement ces exercices que je trouve bien trop faciles à mon goût. Je maîtrise totalement le calcul littéral, sous toutes ses formes, du moins sous toutes les formes que j'ai apprises jusque-là. Je ne cherche pas à cacher mon ennui, conscient que le professeur ne me voit pas. Je fais alors l'une des choses que je préfère : dessiner. Il m'arrive de dessiner toutes sortes de choses, mais je ne sais pourquoi aujourd'hui ma main décide de dessiner le portrait de ma voisine, Sara. Je ne la côtoie pas forcément, nous sommes assis à côté en maths, en physique et en SVT mais nous ne nous parlons que peu. Elle est grande, avec des cheveux châtain ondulés, les yeux noisette, les lèvres fines et quelques boutons sur le visage, traces de cette malédiction qui nous est infligée à tous : la puberté. En tant que garçon, je dois dire qu'elle pourrait en faire tomber plus d'un mais ce charme ne m'affecte pas. Je continue donc de dessiner sur un coin de mon cahier, la regardant du coin de l'œil de temps en temps pour essayer de la reproduire le plus fidèlement possible. A un moment, elle surprend mon regard, ce qui me fait tressaillir et baisser les yeux, les joues se teintant légèrement de rouge. Elle sourit et retourne à ses exercices de maths. J'essaye de trouver une autre source d'inspiration et de dessiner ces créatures fantastiques que j'aime tant mais mes yeux se posent toujours sur ce croquis. Je ne peux m'empêcher de continuer le dessin, de peaufiner les détails tout en la regardant furtivement. J'étais sur le point de finir lorsqu'elle me demande de l'aide pour un de ses exercices. Je lui explique le système des identités remarquables lorsqu'elle le voit. Le portrait d'elle... Elle me prend mon cahier pour l'observer de plus près, entouré de mes créatures mythologiques. J'ai l'impression que cela dure des heures. Son regard étudie attentivement chaque trait, chaque coup de crayon. Puis, sortant de son mutisme, elle dit enfin :

-C'est très ressemblant Marc. Tu es vraiment doué.

-Merci, répliqué-je en passant ma main derrière mon crâne, geste que je fais souvent lorsque je suis gêné.

-Marc, Sara ! cria le professeur depuis son bureau. J'espère que je ne vous dérange pas trop. Vous voulez un thé et des gâteaux, dit-il avec un air sarcastique. Vos carnets sur mon bureau et allez continuer votre conversation dehors ! Maintenant !

Et avant que je puisse lancer une réplique à ma façon, totalement insolente, il tourne le dos et continue d'expliquer un exercice à un élève. Je me lève donc et pose mon carnet sur le coin du bureau du professeur et me dirige vers la porte. Je l'ouvre et, Sara sur mes talons, nous entrons dans le couloir. Je ferme la porte un peu bruyamment, ce qui me vaut une remarque étouffée du « Bourreau des Esprits » comme j'aime le surnommer. J'entends un « désolé » dans mon dos qui me fait sourire. Je me retourne et réponds :

-C'est moi qui suis désolé. Je ne suis pas à ma première visite du couloir mais je n'avais jamais entraîné quelqu'un avec moi. Désolé, sincèrement..., fais-je avec un sourire embarrassé.

Je m'adosse ensuite au mur et ferme les yeux, ruminant mes pensées intérieures. Je sens une présence à côté de moi. J'ouvre les yeux. Sara se trouve à ma droite, adossée elle aussi au mur. Elle me sourit timidement et se laisse glisser le long du mur, finissant assise par terre. Je retourne à mes « ruminations spirituelles », me tordant les doigts de temps à autre en imaginant ce que dira mon père en voyant une nouvelle remarque d'un professeur dans mon carnet.

La sonnerie retentit et je rentre dans la classe. Le professeur dit haut et fort pour que tout le monde entende :

-A demain Marc !

-Mais, je n'ai pas maths demain monsieur !, répliqué-je, un sourire au coin des lèvres.

-Oui, mais tu es en heure de retenue !, raille-t-il.

Je perds mon sourire et ouvre la bouche pour protester puis la referme, immobilisé avec mon carnet dans la main gauche. J'entends un rire étouffé qui parcourt la classe. Je me décide enfin à bouger, range mes affaires et sort rageusement de la salle. Je prends la direction des casiers pour y déposer mes affaires durant le temps de cantine, repassant dans ma tête tous les scénarios pour annoncer à mon père que j'étais collé. Je me souviens très clairement de la dernière fois que je lui ai dit une chose pareille. « Aïe aïe aïe » me dis-je intérieurement. J'ouvre mon casier et y jette mon sac, plus violemment que je ne l'avais prévu et je réussis, par la plus grande malchance du monde, à me cogner la main contre le bord tranchant du casier. Tout ce que je trouve à dire à ce moment se trouve être « Et merde ». Puis je remarque que ma main s'est mise à saigner et que le sang à tacher ma veste. Je dis alors à voix basse :

« Quelle journée de merde c'est pas possible ! »

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