Une lionne en cage

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Alexianne.
Aurore.
Amanda.
Annabelle.
Anaëlle.
Anastasia.
Alice.
Aline.
Alexanne.
Alexandra.

Je ne peux m'empêcher de gribouiller sur mon cahier. Tous les jours. Je suis enfermée ici depuis... longtemps. J'ai arrêté de compter les jours, les mois, les années. En réalité cela pourrait aussi bien faire une semaine que je suis ici que dix ans. Je n'arrive plus à saisir le temps : on m'a enlevé mes repères.

Je me raccroche aux noms. Parce que c'est la seule chose dont je me souvienne. Alors je note encore et encore le prénom d'inconnus. J'ai ainsi noirci plus d'une quarantaine de pages de mon écriture saccadée et pressée. Mon carnet est l'une des seules choses que j'ai pu emporter avec moi. Il me semble que le reste m'a été arraché de force. En tout cas, tous les objets de ma chambre sont des inconnus. Je ne me rappelle pas les avoir un jour possédé. J'en ai donc déduit que j'étais enfermée.

J'ai oublié beaucoup de choses ici. Notamment mon prénom, voilà pourquoi j'en écris beaucoup. Parce qu'un jour j'espère me souvenir de mon identité. J'espère me réveiller un jour et me dire : je m'appelle Véronique ou Blaire ou encore Caroline ! N'importe quel autre nom d'ailleurs. N'importe quoi pourrait faire l'affaire. En attendant, je m'amuse à m'appeler Vide. Je trouve que c'est un joli mot représentatif de ma mémoire. J'aimerais redevenir comme avant. Avant qu'ils me fassent un lavage de cerveau.

J'ai aussi oublié à quoi ça ressemblait dehors. J'ai oublié ma maison,mes amis,ma famille. J'ai même oublié mon apparence. Il n'y a pas de miroir là où je suis. J'ai oublié la mort et la vie. J'oscille entre les deux telle une balance. J'ai oublié les saisons. J'ai oublié ce que c'était d'être libre.

Je hais tellement les personnes qui m'ont mise ici... je voudrais pouvoir les tuer de mes propres mains. Les faire souffrir comme "ils" me l'ont fait. Leur enlever tout espoir,tout souvenirs. Mais malheureusement, je ne connais même pas mes tortionnaires. Je suis une brebis qui ne connait pas le loup qui l'a croqué.

Je ne suis pas une prisonnière comme les autres. Je ne sais même pas où je me trouve, ni le pays ni le continent. Et puis, ma chambre est spacieuse et luxueuse. Je suis seule dans mon ennui, entourée d'objets qui ne sont pas les miens. Je déteste cette sensation de ne pas être à ma place. Cette sensation que tout est factice et que je suis seule. Effroyablement et terriblement seule.

Une mélodie entêtante se diffuse dans la pièce. Ding dong Vide, c'est l'heure d'aller prendre une douche...

Tel un automate, je me lève et me dirige vers la porte de ma cage. L'habitude de ces mouvements m'empêche de sautiller de joie. J'ai le droit à quelques instants de liberté. Deux fois par semaine, je peux prendre une douche. J'ai 30 minutes pour faire ce que j'ai à faire puis "ils" me reconduisent à ma chambre. Pas une minute de plus. J'ai déjà essayé et j'ai finis grelottante, dans ma chambre, mouillée et nue. Cette expérience ne me donne pas réellement envie de la retenter.

Dès que j'atteignis ma porte, elle s'ouvrit. La lumière m'aveugla. De toute manière, c'était l'effet recherché. On vaporisa un spray sur mon visage. Ce spray me rendait momentanément malvoyante. Environ une heure. Merci la technologie. Quelqu'un me prit le bras. Tiens c'était un nouveau. La dame d'avant avait une main frêle et une poignée délicate. La, les doigts longs et osseux s'enfonçaient désagréablement dans ma chair.

À mon avis, soit je répugnais cet homme soit il me haïssait. Pourvu qu'il ne me fasse pas de mal... La personne précédente qui s'occupait de moi était gentille. Parfois elle soupirait et me caressait le bras. Puis elle me prenait par la main. Je m'étais habitué à sa présence réconfortante. J'espère qu' "ils" ne lui ont fait aucun mal. C'était en quelque sorte ma seule et unique amie.

Parfaits... Ou Presque.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant