Dix kilomètres sous la surface

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 Les entrailles de la mine étaient sombres et transpirantes comme le ventre d'un monstre gigantesque.

Sam, à bout de souffle, s'appuya sur la paroi déchiquetée que son bandeau luminescent éclairait faiblement.

Les galeries s'étendaient sur des centaines de kilomètres à des profondeurs terrifiantes, la planète n'était plus qu'une pêche d'acier rongée par des vers insatiables.

Le valadium. Un alliage qui prenait naissance dans les entrailles de la planète, à des pressions titanesques. Il était la seule raison pour laquelle elle méritait d'héberger la vie, et nombre de vies furent en effet employées pour son extraction. Dès sa découverte, la révolution spatiale s'était mise en marche, il avait alors été possible de concevoir une nouvelle génération de vaisseaux stellaires, plus puissants, plus légers, plus résistants. Peu importait le prix à payer pour repousser les frontières de l'exploration et de la connaissance, l'homme avait besoin de comprendre et cette nécessité était gravée dans le moindre recoin de son être.

Des volontaires furent alors engagés et amenés sur la planète par cargo spatial, il creusèrent les premières tranchées et firent profit sur ces premières pépites. On nomma ces mineurs, les pionniers. Le nom était resté, dès lors vide de sens au vu de l'état actuel des stocks. Sam était l'un d'entre eux, un de ces sacrifiés au nom du progrès.

Il releva la tête, ses pommettes étaient recouvertes de paillettes métalliques qui peinaient à scintiller, comme de petits vers luisants en fin de vie.

Sa mission du jour était de cartographier ce réseau de galeries, en solitaire étant donné qu' Omir, son partenaire, ne s'était pas présenté au relevé ce matin. Une attitude lâche, certes, mais compréhensible au vu des risques que comportait l'opération. La faune autochtone ne présentait en effet aucun point commun avec celle qui peuplait autrefois le Continent, terre originelle des hommes. Ici, point de chair, de vaisseaux sanguins ou de nerfs, tout n'était que métal, froid et tranchant. Parmi les premiers pionniers, nombre d'entre eux, n'apercevant aucune vie à la surface, avaient fait l'erreur de relâcher leur vigilance, se croyant en sécurité dans les galeries. Mais pour Sam, la simple existence de telles créatures contribuait à entretenir cette petite étincelle qui le poussait chaque jour à se lever et s'user à la tâche. Cette petite étincelle d'espoir, qui s'embrasait toujours dans les moments les plus inattendus, à chaque découverte d'une forme de vie extérieure à la notre et qui contribuait à consoler cette solitude qu'éprouvait l'être humain, seul sur une sphère perdue dans l'immensité froide de l'univers.

Prenant une profonde inspiration d'air moite, il se remit en route. Si ses ébauches de plan étaient exactes, il se trouvait à quatre kilomètres de l'escalator le plus proche, celui duquel il était parti dans la matinée. Cinq milles pas d'exploration en une journée, cinq mille occasions de faire une mauvaise rencontre, il considérait que la performance était correcte, d'autant plus qu'il possédait encore ses quatre membres au moment de faire demi-tour et qu'il avançait presque à l'aveuglette.

Ça va sans doute me rapporter une dizaine de jetons, songea-t-il. Et si on y inclut la part d'Omir, de quoi tenir jusqu'à la fin de la semaine.

Il accéléra la cadence, impatient de remonter et ravi de se dégourdir les jambes après une journée à progresser à tâtons. Ses enjambées produisaient un bruit mat sur le sol incroyablement dense, qui contrastait avec le silence absolu des profondeurs.

J''ai aucune idée de l'heure qu'il est, j'espère que le bureau d'échange est encore ouvert, histoire d'avoir quelque chose à me mettre sous la dent ce soir. Bon, ok, plus que mille pas et je devrais apercevoir l'escalator sur la gauche .. hum, ou sur ma droite. Je ferais mieux de le préciser sur la carte qu..

Un bruit sourd le tira de sa torpeur tandis qu'il s'immobilisait pour tendre l'oreille.

Qu .. qu'est-ce que .. ?

Ça se rapprochait, ce bourdonnement étrange similaire à une vague de billes d'acier sur du marbre. Il était maintenant possible de discerner les crissements de centaines de petites griffes alors que les poils de ses bras se dressaient.

Une nuée d'hybride !

Sans se retourner, il se mit à courir alors que le grondement s'amplifiait et faisait vibrer les parois du tunnel.

Faisant du mieux qu'il pouvait pour conserver sans sang froid, Sam leva sa carte chiffonnée pour l'éclairer à la lueur de son bandeau, il ne devait pas rater d'embranchement, à n'importe quel prix. La panique le submergeait. Il trébucha alors sur quelque chose et son plan s'échappa tandis qu'il s'étalait de tout son long.

Aaaaaaaah, saleté !

Un vieil hybride isolé auquel il manquait les jambes lui tenait fermement la cheville de sa poigne froide. Sam se débattait de toutes ses forces mais la créature à ses pieds, autrefois humaine et aujourd'hui possédée par l'acier, y était insensible. Quand un coup de talon sur l'articulation du coude lui fit enfin lâcher prise, la horde d'abominations était suffisamment proche pour qu'il puisse en sentir les effluves. Il se précipita de toutes ses forces vers l'escalator dont il pouvait discerner les lumières, plus que quelques enjambées. Ses cuisses le brûlait. Puisant dans ses dernières réserves, il accéléra jusqu'à saisir la poignée. L'escalator commença à s'élever dans un crissement. Il resta adossé au fond de la cage jusqu'à être hors de portée. Il pouvait entendre les hybrides qui mugissaient de colère sous la cage, une colère froide, inhumaine qui animait ces bouts de corps sans vie.

Les battements de son cœur ralentissaient tandis que la cage s'extrayait des profondeurs.

Il avait perdu la carte.  

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