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Des volets bleus. Soutenus par des murs de pierre datant d'une
époque révolue. Un toit de briques rouges délavées. Je ne discerne rien de l'intérieur qui est protégé de la lumière par d'épais rideaux en toile bleue. La porte est entrouverte, laissant passer un mince rai de lumière, éclairant la
poussière sur les planches de bois.
La forêt entoure l'immense bâtisse, créant comme un cocon autour
de ce lieu sortant de l'ordinaire. La voiture bleue, une Citroën que mon père à achetée tout récemment, est garée sur l'étroite bande de terre et de graviers qui mène à la masure.
Voilà où je vais vivre. Je ne vais pas parler de torture... mais c'est à
l'extrême limite. Je ne sais même pas s'il y a du réseau !
­ -Tu peux aider un peu ? On a une tente à monter ! Et après, on
pourra faire les indiens ! Allez ! Vite !
Ça, c'est mon frère... charmant, hein. Et vous vous demandez peut­ être pourquoi on a besoin d'une tente, alors que nous avons cette grande
maison qui nous attend... tout simplement à cause de tous les travaux que l'on doit faire à l'intérieur avant qu'elle ne soit vivable. Donc ça veut dire au moins trois semaines sous la tente, avant que nous puissions mettre des matelas à l'intérieur. Le bonheur même !
­ -Allez ! On se bouge ! Répète mon frère en me mettant des sardines dans les mains.
Je me dirige vers l'emplacement que mon père a choisi en traînant les pieds... ce n'est pas comme ça que j'imaginais mes vacances d'été.
J'aurais largement préféré aller bronzer sur des plages, les rayons du soleil chauffant ma peau, et les embruns de la mer me chatouillant les narines.
Mais au lieu de ça, je suis ici. Face à cette maison, perdue au milieu
de cette forêt... Perdue au milieu de nulle part. Ah non ! J'avais oublié ! Il y a bien ce petit village que nous avons traversé en arrivant, et qui doit compter dans les... 700 habitants je dirais. Il y avait 1700 élèves dans mon lycée !
Alors là, il doit y en avoir... une cinquantaine ?! C'est ridiculement petit !
Mais tout cela constitue le rêve de mon père. Et s'il ne le réalise que
maintenant, c'est à cause ­ ou grâce ­ à ma mère. Elle était absolument
contre cette idée de partir en exil loin de tout. Elle avait déjà passé toute son enfance à la campagne et en éprouvait une profonde aversion...
contrairement à mon père, qui avait toujours vécu en ville, et qui rêvait de partir s'installer loin de tout. On se demande pourquoi ils se sont mis
ensembles !
En tout cas, c'est pour ça que je suis ici. Parce que ma mère est
morte. Plus rien ne retient donc mon père de réaliser son rêve. Il n'a plus
aucune attache, plus aucune personne pour le retenir en ville. Alors il a
décidé de faire ce qu'il avait toujours voulu faire. Mais il ne réalise pas que je ne suis pas comme lui. Et que je ne le serai jamais. Il ne m'a rien demandé, ne s'intéressant pas à ce que je pensais de son idée de partir, de tout quitter. De quitter ma maison. De quitter mes amis. De quitter la civilisation. De quitter ma vie. Non, je ne vois pas en quoi mon avis l'intéresserait, je n'ai que 16 ans après tout. Mais au fond de mon cœur, je connais la véritable raison de ce départ précipité. Oui, parce que ma mère n'est pas morte hier. Non, ça
fait huit mois. Huit mois d'enfer à voir mon père se morfondre, jusqu'à ce qu'il se relève et qu'il achète cette maison.
Les images qu'il nous a montrées ont tout de suite enthousiasmé mon frère, normal, il n'a que huit ans et à cet âge là, tout paraît merveilleux.
Mais moi, j'ai tout de suite compris l'enfer que ce serait. On allait devoir
refaire entièrement le toit, les murs, et l'isolation. Autant dire qu'il serait tout aussi rapide de tout raser pour reconstruire neuf ! Mais mon père ne voit pas les choses sous cet angle, et même pour le prix dérisoire qu'il a obtenu de cette antiquité, il tient à la garder le plus en l'état possible.
Donc je me retrouve, en plein mois de juin, au milieu d'une forêt, en train de monter une tente, en priant pour qu'il ne pleuve pas... Parce qu'évidemment mon père a choisi un lieu où le microclimat pluvieux est roi. Charmant !
­ -Eh ! Tu m'emmènes visiter ? Papa veut pas que j'y aille seul...
-­ Visiter quoi ?
­ -Bah... la maison.
Mais il est... ?! Il tient vraiment à mourir enseveli sous cette... chose
qui tient à peine debout et qui porte l'étrange nom de maison ?! Parce que
moi, ce n'est pas vraiment mon rêve ! J'ai encore tellement de choses à
accomplir !
­ -Allez ! Allez ! S'il te plaît ! On regarde juste l'entrée et après on repart !
Je soupire... il obtient vraiment tout de moi !
­ -Bon, mais on regarde rapidement, alors !
­ -Oui ! Oui ! Merci !
Il gambade vers la porte d'entrée... qu'est ce qui m'a pris d'accepter ? Mais bon, je ne peux pas revenir sur ma décision...
Je marche d'un pas résolu vers la porte à la peinture bleu écaillée, où mon frère m'attend impatiemment.
­ -C'est parti, murmuré-­je.
Je pousse la porte, qui grince en s'entrouvrant, laissant la lumière
se déverser dans l'entrée. Mike se rapproche de moi, sa bonne humeur
soudain envolée.
­ -Te peux me donner la main ? me demande-­t­-il en chuchotant.
Je la lui tend, et il s'y agrippe comme à une encre.
­ -Allez, courage.
Je fais un pas à l'intérieur, le plancher grinçant sous mon poids.
L'entrée est à peine éclairée par la lumière provenant de la porte, et
je dois plisser les yeux pour discerner le vieux meuble en acajou trônant
devant moi, un vase en porcelaine couvert de poussière par dessus. Je
tâtonne sur le mur derrière moi, cherchant un interrupteur qui semble inexistant. Je finis par sortir mon portable, et m'éclaire avec la diode
incorporée.
Un escalier se tient à droite du meuble, et je ressens le besoin
irrépressible de monter les marches pour découvrir ce que renferme
l'étage... qu'est-­ce qui m'arrive ?
­ -Tu veux aller voir en haut ? demandé-­je à mon frère.
Il réfléchi comme si c'était la plus importante décision de sa vie.
­ -Oui, je viens avec toi !
OK, au moins si tout s'effondre je ne serais pas seule sous les
décombres.
Je vais jusqu'aux escaliers, à droite du meuble, et me retourne pour
attendre mon frère.
­ -Tu viens ? Je pars sans toi sinon.
Il trottine jusqu'à moi, laissant des empreintes de pas dans la poussière recouvrant le sol, et reprend ma main.
On monte lentement les marches, et je me demande à chaque pas si ce n'est pas le dernier. L'escalier grince tellement que tous les animaux du
bois doivent déjà être au courant que l'on monte. Il va vraiment falloir faire des rénovations. Et vite.
J'arrive face à un corbeau, et manque faire une crise cardiaque.
Non mais quel est l'imbécile qui a eu l'idée d'empailler un oiseau pour le
mettre en haut des escaliers ?!
Mon frère rigole devant ma face horrifiée... non mais je vous jure,
celui-­là...
J'ouvre la porte en surveillant le corbeau du coin de l'œil... on ne
sait jamais.
Je marque un temps d'arrêt en découvrant ce qui se cache derrière
le battant... le peu que je discerne grâce à la lumière filtrée des rideaux estimpressionnant !
La pièce est complètement tapissée de miroirs, créant un effet de multitude, d'infini, et le sol est recouvert d'un épais tapis rouge poussiéreux.
Je me dirige vers la seule fenêtre de la pièce, et ouvre les épais rideaux bleus. La crasse m'empêche de voir à travers la vitre. Je mets quelques secondes à réussir à l'ouvrir. Un instant éblouie par le soleil, je n'ai pas le temps de contempler la vue, un craquement assourdissant retentit, me donnant des frissons.
Après quelques secondes à retrouver mes esprits, je me retourne pour demander à Mike de venir voir, mais je tombe sur une jeune fille, un air
perdu sur le visage, semblant chercher quelque chose. Ses yeux d'un vert pailleté de marron me fixent, et ses cheveux blonds, rendus éblouissants par la lumière crue du soleil, me narguent.
Je secoue la tête, tentant de dissiper le malaise que mon reflet m'a renvoyé... cette maison est vraiment étrange.
Mike est lui aussi face à une glace, mais il ne contemple pas son
reflet. Je m'approche et me place derrière lui, une main sur son épaule.
-­ C'est bizarre ici, me confie­-t­-il.
Oui. Et tu ne sais pas à quel point ! Mais je ne veux pas l'inquiéter.
­ -Qu'est­-ce que tu trouve d'étrange ?
­ -Eh bien, si tu regarde derrière toi, il n'y a rien, mais si tu regarde
dans le miroir en face de toi...
Une table. Avec une chaise. Les deux sont en piteux état, mais on discerne encore la peinture en or qui a jadis dû rendre ces objets infiniment plus raffinés. Je frissonne, qu'est-­ce que c'est que ce bordel ?! Je regarde
dans la pièce, à la recherche du moindre meuble, mais il n'y a rien... Je reporte mon attention sur le miroir, et je peux très nettement distinguer la table et la chaise.
-­ Viens Mike... on sort d'ici.
Je ne préfère pas m'attarder dans cet endroit lugubre... cette pièce ne figurait pas dans l'acte de vente.
Je me retourne pour retrouver la porte, mais je ne sais plus derrière
quel miroir elle se cache... enfin si, à peu près. Je sais que la fenêtre est sur
le mur opposé à la porte.
Je parcours la pièce du regard, cherchant la fameuse fenêtre.
­ -Euh... est­-ce que tu vois la fenêtre ? interrogé­-je Mike.
­ -Quelle fenêtre ? Il n'y a jamais eu de fenêtre ici !
Mais... Qu'est­-ce que j'ai ouvert alors ?
­ -Est­-ce que tu te souviens où se situe la porte ?
­ -Bien sûr !
Ah ! On est pas coincés alors !­ Elle est en face de la cheminée.
La... ?! Mais il y a jamais eu de cheminée ici ! J'avais raison, on
n'aurait jamais dû venir ici. On aurait pu juste jeter un coup d’œil comme
prévu, puis retourner aider papa... mais non ! Il a fallu que je veuille aller voir en haut de ces foutus escaliers !
Je l'interroge d'une voix tremblante :
­ -Et... elle est où ta cheminée ?
Il fouille la pièce du regard, avant de me jeter un coup d’œil
apeuré...
­ -Elle, elle... elle a disparu.
OK. Je dois rester calme. Respirer. Souffler.
Je suis dans une maison, au milieu d'une forêt, au milieu de nulle
part. Et je suis entrée dans une pièce avec des miroirs, et... des meubles
invisibles.
Super... tout ce dont j'ai toujours rêvé. Et pour couronner le tout, je ne sais plus où est la porte !
En gros, si je ne trouve pas de sortie, je suis dans la merde...

MiroirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant