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Désorientée, je l'appelle, mais c'est comme parler à un mur... il ne répond pas. Je reporte mon attention sur l'endroit où se trouvait la femme, mais elle n'y est plus. Le vide qui la remplacée me pèse, m'oppresse. Je me mets à parcourir la pièce de long en large, d'abord à la recherche de mon frère ­on ne sait jamais­ puis simplement pour me défouler et passer le temps.
Je crois que je vais devenir allergique aux miroirs, aux tapis rouge, aux lions et aux... Mais oui ! Je m'arrête, les souvenirs m'assaillant.
Une petite table remplie de jouets. J'y suis assise, une peluche entre les mains. Je relève alors la tête et croise le regard d'un homme. Mon père. Il tend les bras, et je cours vers lui, m'y jetant.
Je ne me souviens plus des paroles qu'il a prononcées, seulement de quelques bribes. Mon attention de petite fille étant captée par ce que mon père tient dans les mains. Je la fixe intensément, pressée de me l'approprier.
Lorsqu'il me la tend enfin, il m'explique :
­ -Cette montre te protégera où que tu ailles. Elle te portera bonheur.
Tandis que le souvenir perd progressivement de l'ampleur, je plonge la main dans ma poche et en ressort la fameuse montre.
Entièrement en bronze, les aiguilles se sont arrêtées au moment de mon entrée dans cette pièce. La chaîne qui permettait de l'accrocher à mon pantalon est désormais rouillée, mais garde tout de même son utilité. Je la referme pour me mettre à observer l'extérieur. Gravé finement sur le devant, un lion, la gueule grande ouverte dans un rugissement muet, est enlacé par un serpent d'une étreinte qui s'avérera sûrement mortelle.
Je reporte mon regard sur mes pieds et plus particulièrement sur le tapis rouge... c'est bien le même motif.
Je m'assois en tailleur, pose la montre sur le sol à coté d'une tête de lion, et mets mon front entre mes mains. J'ai besoin de calme, de réflexion. Qu'est­ce qu'il m'arrive ?
Pourquoi ai-­je tellement tenu à entrer dans cette pièce, il me suffisait de jeter un coup d'œil à l'entrée, puis de repartir aider mon père à monter sa fichue tente !
- Bon... il ne sert à rien de repenser à ça, il faut se concentrer sur ce qu'il m'arrive.
Je regarde une dernière fois la montre, avant de me lever et de me planter devant un miroir.
Je dois découvrir ce qu'il se passe, et la meilleure façon est d'affronter les personnes qui hantent cette pièce. Je fixe mon regard, contemple mes yeux, ces yeux verts qui me regardent fixement. Je crois apercevoir un mouvement derrière moi, et me retourne vivement. Personne.
Je tourne lentement vers le miroir, fixant une dernière fois les ombres se mouvant derrière moi. Je sursaute, me retrouvant nez à nez avec un poste de musique. Qu'est­-ce qu'il fait là ? J'approche ma main du miroir, sa froideur m'est bénéfique... seulement pour un instant.
Mes doigts commencent à s'enfoncer dans la matière argentée sans rencontrer aucune difficulté. Effrayée, je tente de retirer ma main, mais elle est comme attirée pas une force invisible. Mon bras s'engouffre à son
tour dans ce piège de glace, et je me met à tirer dessus de plus en plus fortement, dans le but de sortir. Mais rien n'y fait, et je me retrouve bientôt avec la moitié de la tête englobée dans le verre. Je ferme les yeux, prend une grande inspiration... peut être la dernière.
Je suis projetée par un bras invisible, et titube quelques secondes avant de m'écrouler par terre, complètement sonnée. Je reprends ma respiration... Je suis en vie... pour le moment. Je me relève, le souffle court, et observe mon environnement. C'est le même que dans la pièce précédente, excepté le poste de musique, trônant sur une table placée au centre de cet endroit lugubre.
Je m'approche, à la fois effrayée et curieuse. J'examine le poste, qui me parait assez vieux. Je tente de mettre la radio... toutes les fréquences sont brouillées. Je finis par appuyer sur tous les boutons, me défoulant sur le pauvre vieux poste... qui finit par émettre des tonalités aiguës qui me percent les oreilles. Je porte les mains à mes tempes, reculant de deux pas. Le bruit se poursuit quelques secondes, avant de s'arrêter. Prudente, j'attends un peu plus avant de retirer mes mains. Lorsque je les enlève, le silence ne me paraît plus oppressant comme tout à l'heure, mais bizarrement apaisant. Je retourne vers le poste et colle prudemment l'oreille contre le micro, tentant d'entendre autre chose que le bruit insupportable de tout à l'heure.
Bip... bip... bip... Survenant à intervalles régulier, ils résonnent faiblement dans le silence qui m'entoure, comme s'ils ne tenaient qu'à un fil.
Prenant du recul, j'observe d'un œil mauvais le poste... il ne m'inspire plus confiance et je décide de m'en éloigner le plus possible.
Malgré tout, les bips se poursuivent, s'amplifiant lorsque je m'éloigne, et s'atténuant lorsque je m'approche.
J'observe la pièce de la même manière que la précédente, mais je dois me rendre à l'évidence : tout est identique... Il n'y a pas de sortie. Je tente de passer à travers les miroirs, mais ils sont hermétiques... est-­ce que j'ai rêvé le moment où l'un d'eux m'engloutissait ? Je ne suis sûre de rien.
Cependant, un indice me permet de dire que j'ai bien changé de pièce... ma montre. Je l'avais laissée sur le sol, mais je ne la vois nulle part. Elle est restée de l'autre côté. Un sentiment de vide m'envahit, cela fait presque 10 ans que je la trimbale partout avec moi... et je l'ai perdue.
-J'en ai marre ! Je veux que ça s'arrête ! Je veux revenir chez moi !
Sans m'en rendre compte, j'ai crié. Je me mets à proférer des injures à tous les gens que je connais, eux qui m'ont abandonnée dans cette salle lugubre.
À bout de force et en larmes, je finis par m'asseoir, dos à un miroir, la tête entre les mains. Je sens alors la même force que tout à l'heure, qui me tire vers l'arrière. Avant que je n'aie le temps de réaliser ce qu'il m'arrive, le noir se referme sur moi.

MiroirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant