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Les bips bips retentissant à intervalles réguliers me bercent. Je sens petit à petit ma conscience revenir. Je tente d'ouvrir les yeux, mais mes paupières semblent soudées avec du ciment.
J'ai dû me rendormir, parce que lorsque je me réveille, je sens une présence à mes cotés.
J'essaie d'ouvrir les yeux une nouvelle fois... j'y arrive au prix d'un effort insurmontable, et c'est pour les refermer tout de suite, éblouie par la blancheur de la lampe au dessus de moi. Je sens l'agitation de la personne à mes côtés, mais il m'est impossible de réitérer l'effort que je viens de fournir pour ouvrir les yeux.
J'erre entre périodes d'éveil et semi­inconscience. Je sens que je vais bientôt réussir à me réveiller pour de bon, les périodes d'inconscience s'amenuisant au fur et à mesure. Les bips ont disparu. Le silence est le pire des cauchemars.
Il fait chaud. Trop chaud même. Je tente de bouger le bras afin de repousser les couvertures que je sens sur ma poitrine, mais ce simple geste me donne le tournis, et je me résigne à ouvrir de nouveau les yeux, en quête d'aide. Cette fois­ci, la lumière est éteinte, il n'y a personne dans la pièce aux murs blancs. La lueur, filtrant de la porte entrouverte, me permet de constater qu'il y a de l'agitation à l'extérieur... mais je n'entends rien. Pas le moindre bruit. Le silence en devient presque oppressant. Le soleil se glissant entre les lattes des stores me permet de détailler la pièce plongée dans la pénombre : une commode dans un coin, des tonnes de fleurs posées dessus, la petite table de chevet peinte dans les tons or, avec des cartes, des médicaments et une radio dessus... et la grosse machine émettant les bips que j'entendais au début. Je ne les entends plus. Mais je vois quand même défiler la courbe verte, d'une allure régulière... le rythme de mon cœur. Je suis en vie.
Je tente d'ouvrir la bouche, afin d'appeler quelqu'un, qu'ils sachent que je suis réveillée... mais si j'ai pu dire quelque chose, je n'en ai rien entendu.
L'horloge accrochée au dessus de la porte indique deux heures quarante-sept, mais du matin ou du soir ?
Une infirmière finit par entrer, un plateau dans les bras. Lorsqu'elle constate que je suis éveillée, elle affiche un grand sourire et vient près du lit.
Je vois ses lèvres bouger. Je sais qu'elle me parle, qu'elle m'explique quelque chose... mais je n'entends rien. Le silence en devient encore plus oppressant. Je tente de lui faire savoir qu'il ne sert à rien de parler, mais je ne m'entends pas moi même, je ne sais pas si je chuchote ou si je crie.Je réalise alors une chose. Terrifiante mais à la fois rassurante.
C'est la dame qui m'est apparue. Je me demande comment j'ai pu ne pas m'en rendre compte plus tôt. Elle a la même posture voûtée, le même air de fatigue, et pourtant, elle affiche un sourire soulagé et heureux. Comme si j'étais une vieille amie qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps et qu'elle retrouvait.
L'infirmière fronce les sourcils, puis m'indique deux doigts, l'horloge, sa poitrine, et la porte. Je hoche la tête.
Elle revient un peu plus tard, accompagnée d'un médecin.
Grand. Les yeux noirs. Les cheveux gris. L'homme que mon frère a vu. Il n'est donc pas sorti du néant de mon imagination. Il a un calepin à la main, et il commence à écrire dessus, d'un geste rapide, puis fait pivoter la feuille vers moi. "Le plancher a cédé sous ton poids, tu es restée inconsciente trois semaines... on a bien failli te perdre. Ton frère va bien. Est-­ce que tu as mal quelque part ?"
Il devance mes questions... il doit avoir l'habitude. Je réfléchis à son interrogation, fait l'analyse de chaque parcelle de mon corps. Tente de bouger les doigts... je n'y arrive toujours pas.
-­ Je n'ai pas mal, mais je ne peux plus bouger... et je n'entends rien.
J'espère avoir parlé assez fort, mais je ne veux pas non plus crier.
Le médecin griffonne de nouveau sur une autre feuille : "On va faire des analyses, tu devrais réussir à bouger le haut, rien n'est sûr pour le bas, et pour l'audition... on verra bien. Repose toi pour l'instant."
Cette nouvelle m'afflige... je ne pourrais plus marcher ? Plus entendre ? Qu'est-­ce qu'une vie si on n'est pas libre ? Rien. Au moins mon frère va bien, heureusement que je suis entrée la première, je n'aurais pas supporté de le voir à ma place.
Le médecin griffonne une dernière phrase avant de s'en aller... une phrase qui me glace. "Ce sera un nouveau départ pour toi, mais tu t'habituera vite."
Alors que je détourne le regard de ces mots qui ont bien plus de signification que ne semble le penser le médecin, mon regard tombe sur la montre à gousset. Posée sur une carte rouge, sur la petite table de chevet.
Le lion me dévisage de ses yeux de fou, tandis qu'il tente d'échapper au serpent.
Je replonge dans le sommeil, repense à ce qui m'est arrivé dans la salle de glaces... Ce n'était donc pas réel ? Pourtant, on ne peut pas ressentir autant de sentiments dans un rêve...

MiroirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant