Quarente-et-unième

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Lukas Graham- 7 Years
***
Once I was eleven years old
My daddy told me
Go get yourself a wife or you'll be lonely
***

"T'as la thune?" Me demande Laskar.
Je ne connais pas son nom. Personne ne le connaît. Ou alors tout le monde à peur de le prononcer.

"Pas encore" je réponds en fuyant son regard.

"Tu te fous de moi?" Ses yeux sont injectés de sang. Il n'est pas beaucoup plus âgé que moi, mais la coke l'a fait vieillir prématurément.

"Je n'ai pas réussi à la vendre, Laskar."

"Petit con. Tu crois que j'vais y croire?" Il rit, mais c'est bien le seul. "Tu l'as prise? C'est ca. Tu prends ce que je te donne au lieu de l'vendre?"

Il me donne une giffle. Je ne bouge même pas. Mon corps est anesthésié de toute violence. Je ne sens plus rien. Je ne sais même plus ce que c'est que de ressentir quelque chose. C'est mal? Bien? Je ne sais pas.

"Écoutes gamin" murmure-T-il près de mon oreille. "Je te laisse une chance de te rattraper. Tu vas aller dans le portefeuille de ton papa blindé et me rembourser, compris?"

"Oui, Laskar"

Je ne sais même pas ce que je dis. Je regarde juste Laskar. Ses yeux bleus transperçants, sa carrure de brute. Qu'est-ce que je fous là? Je veux bouger mais mes jambes sont paralysées. Un brouillard passe et recouvre le visage des personnes présentes. Je semble le seul à rester statique. Pourquoi je ne peux pas bouger? Je meurs? C'est ca une overdose? C'est pas si terrible. Je ne sens rien. Je ne comprends pas toutes les campagnes au lycee pour lutter contre la drogue. C'est doux de partir comme ça. Alors je ferme les yeux et je me laisse partir...

      Je me réveille en sueur. Je suis là. Je suis en vie. Qu'est-ce qu'il vient de se passer? Son regard encore sur moi. J'ai l'impression de les sentir de nouveau braqués sur moi. Ils me brûlent, m'incendient.

Je me lève sachant que je serai incapable de me rendormir. J'ère pendant près d'une heure dans l'immense appartement des Carmichael.

Ce rêve... Cette réalité, devrais-je dire. Je pensais pouvoir oublier, car tout ça fait partie d'un passé que je ne veux pas avoir à assumer. Ce n'est pas vraiment un secret. Les personnes de mon entourage quand j'avais 15 ans ont toutes ce souvenir de moi. Aujourd'hui, je ne m'explique même pas pourquoi j'ai bien pu faire ça. Pour provoquer ma famille bien rangée. Pour me sentir appartenir à un groupe au lycée. Ne plus être seul.

Le problème c'est que je me suis laissé embarquer. Par esprit de contradiction, Je n'ai pas écouté mes avertissement de mes parents, de mes profs, de ma petite sœur. Malgré le fait qu'elle n'ait pas plus de neuf ans, elle semblait saisir ce qui m'arrivait bien mieux que moi même.

Pourquoi ces souvenirs me reviennent d'un seul coup? Maintenant? A croire que les fantômes du passé ne cessent jamais de vous hanter.

La culpabilité. Qu'est-ce que ça pourrait être d'autre? Mis je ne comprends juste pas pourquoi. Je ne lui dois rien à Roxanne. Je veux dire, elle n'a pas besoin de savoir. Ca ne ferait qu'empirer les choses, j'en suis persuadé. Alors à quoi bon? Forcer les choses? Je n'ai aucun penchant masochiste. Ce serait le meilleur moyen pour la perdre. Mais d'un coté, si je lui dit, peu être qu'elle réalisera qui il est.. J déteste ce genre de dilemme! Je me sens comme dans "Le choix de Sophie".

Je continue à marcher. Encore, et encore, et encore, et encore, sans m'arrêter. Ca m'aide à penser. Je pense. J'en sais trop rien en fait.

Je m'arrête enfin devant la porte dissimulée dans le mur. Et je réfléchis de nouveau. J'ai mal au crâne. Est-il possible pour quelqu'un qui a perd la tête de souffrir de migraines?

Je pousse doucement la porte. Les différents instrument sont éclairés par la pleine lune. On y voit presque comme en plein jour, sous la lumière tamisée de cet astre inconstant, comme dirait l'autre. Karl m'a dit que la pièce était insonorisée. A croire qu'i avait deviné ce que je pourrais bien faire en pleine nuit. Je marche à travers les instruments, pinçant une corde ici, tapant par là. Ca m'apaise. C'est alors que je m'assois devant l'instrument le plus improbable pour moi ici. J'essaye de faire ressurgir mes leçons de piano qui datent de mon plus jeune âge. Mes parents voulaient que je sois un prodige. Quelque chose de quoi ils pourraient être fiers, un singe savant exhiber lors de cocktails à la con. J'aurais pu aimer, si ç n'avait pas été aussi exigeant. Pendant deux ans, je m'y suis collé pour faire plaisir à mes parents, puis j'ai découvert le rock. Jimmy m'a initié quand on s'est rencontrés. De Chopin je suis passé à Led Zepplin et j'ai troqué mes vestes en queue de pie contre des perfectos en cuire que Larry, le frère de Jimmy, nous donnait. Ca, ca me faisait vibrer. Les accords de basse qui font vibrer jusqu'à votre moelle, le voix de Janis qui vous touche jusque aux larmes. Combien de fois nous avons rêvé de devenir comme Kurt Cobain? Sans pour autant finir aussi tragiquement, bien sûr.

Je commence les premiers accords d'un air qui me vient tut seul. Je ne sais pas d'où il sort. Je laisse mes doigts naviguer sur les touches, avec de plus en plus d'assurance. Je me laisse finalement emporter, murmurant des paroles que je ne saisis pas moi même. Je suis comme en transe, sous LSD dans une rêve partie. Un soupçons de peur m'envahi à l'idée de réveiller toute la maison. Mais finalement je m'en fou. Je joue plus fort, plus passionnément. Je joue pour moi, pour satisfaire mon ma soif d'expression. J'ai l'impression de faire l'amour. Un moment intime entre soi et sa passion. On s'abandonne l'un à l'autre, se fichant des "qu'en dira-t-on". Je la laisse m'envahir sans même résister.

Je ne sais pas combien de temps je joue. Je sais juste que mes mains et mon dos sont douloureux et que je m'en fou. Je n'ai pas envie de m'arrêter. Je veux juste verser des larmes musicales, jouer des mots que je ne peux prononcer, faire une harmonie de vérité indicible. J'ai mal. Mais je n'y peux rien.

Lorsque mes doigts s'arrêtent d'eux même, il ne doit pas être loin de cinq heures. Le soleil a pris la place de ma lune et les oiseaux, s'ils sont véritablement existants dans cette ville, gazouillent fièrement à l'idée d'observer une journée de plus chez les gens éternellement pressés.

J'halète, épuisé par l'effort de cette nuit. Mais des applaudissements et une voix sinistre me font me retourner brusquement.

"Et bein, mon pote, on peut dire que ta petite milliardaire t'a bien retourné la tête"

Et Jimmy renverse la tête vers l'arrière, son corps agité par un rire à glacer le sang.

Irrésistible 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant