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Plus tard, j'eus la preuve formelle que ce qu'on me servait n'était que mensonge. Après le cours de ce matin, chaotique comme jamais, la cloche retentit plus longtemps que d'habitude, annonçant à chaque élève qu'il fallait se diriger devant le bâtiment administratif . Une annonce était imminente. Je n'avais aucune envie d'y aller, et arrivai donc avec les dernières élèves. Je ne poussai pas pour mieux voir, comme la plupart des retardataires, mais restai à l'arrière.

La directrice fit son apparition, un sourire plus meuble qu'empathique décorant son visage. Elle se tint droite, raide comme un piquet, sur son minuscule et ridicule promontoire, avant de déclarer :

«Mesdemoiselles, mes chères élèves, j'ai une annonce à vous faire.»

Le troupeau entier remua et chacune des filles chuchota quelques mots, comme si la seule phrase prononcée par madame Fauger était une étonnante surprise. Qu'elles étaient ridicules... Moi, j'avais plutôt envie de rire.

«Allons, allons, du silence, ordonna-t-elle, coupant court à chaque petite discussion particulière. Comme vous le savez toutes, l'école possède sa propre piscine. Il y a des années qu'elle n'a plus été utilisée, mais j'ai décidé de la remettre en fonction. Toutes les classes y iront une fois par semaine, dans le cadre de cours de sport, animés par deux professeurs.»

Je fus surprise de voir qu'après l'impassibilité totale que l'histoire de la piscine provoqua, toutes les filles se mirent à sauter de joie et à rire. D'une part, je n'avais jamais entendu parler d'une piscine (et n'arrivais pas à voir où elle pouvait se situer) et pourtant je n'étais pas la dernière arrivée. D'autre part, nager et participer à des cours de sport ne me réjouissait pas; cela donnait une occasion de plus à Solange pour se moquer de moi et faire un cours de sport sous les ordres de deux professeurs psychorigides comme celles auxquelles j'étais confrontée tous les jours depuis quelques années n'était pas très excitant non plus. J'avais toujours eu une impression d'être le vilain petit canard, mais aujourd'hui, ce n'était plus une impression : j'étais totalement à l'écart, comme si j'étais dans une autre dimension que celle de tous ces personnages qui m'entouraient.

«Vous pouvez disposer, ordonna fermement madame Fauger.»

La foule se dispersa dans un silence impressionnant, intimidant. Les mouvements que chacune des filles faisaient semblaient automatisés. Leurs pas étaient parfaitement synchronisés, leurs jambes et bras étaient raides. Les rangs qu'elles formaient étaient géométriques, rectangulaires. Pas une phalange déplacée ne venait endommager la forme parfaite d'un rang. J'étais la seule qui n'était pas rangée. J'étais la seule qui marchait d'un pas indécis.

Je trouvais cette situation étrange. Ou surréaliste. Oui, surréaliste était le mot exact. Quelques minutes auparavant, elles riaient (même si ce rire sonnait faux) et maintenant toutes leurs émotions avaient l'air d'avoir disparu, sous l'emprise de quelqu'un ou quelque chose que je n'arrivais pas à déceler. Tout était orchestré, j'en étais sûre. Je m'approchai d'une fille de première année avec qui j'avais vaguement discuté dans la bibliothèque, quelques semaines plus tôt.

«Bonjour, Eléonore.
- Bonjour, Elizabeth. Comment vas-tu?
- Bien et toi?
- Très bien, merci. Bon, pousse toi maintenant, fit-elle brusquement.
- Euh oui, mais...
- Pousse-toi, répéta-t-elle froidement. »

Je n'eus pas d'autre choix que de me pousser. Je me remémorai Eléonore, qui, lorsque je l'avais rencontrée, m'avait semblé être douce et gentille. Mais quelle mouche l'avait donc piquée? Oh, et puis peut-être l'avais-je trop vite jugée, je ne la connaissais pas après tout! Je décidais donc d'aborder Clothilde, afin de découvrir si ce qui s'était passé avec Eléonore était normal. Après tout, je savais comment mon amie était!

Charmante ElizabethOù les histoires vivent. Découvrez maintenant