Je l'ai trouvé

II.

- Au Vénus, s'il vous plaît.

Le chauffeur hoche la tête et se met en route.
Durant le trajet, je divague un peu. Une idée saugrenue germe dans ma tête. Elle est tellement stupide et irréfléchie que je la chasse aussitôt de mon esprit. Stupide.

- Nous sommes arrivés, me dit le chauffeur après 20 minutes de trajet.

Je sors du taxi et paie le chauffeur.

- Vous pouvez garder la monnaie.

Il me sourit gentiment, me souhaite une bonne soirée et disparaît entre les autres véhicules.
Quant à moi, j'admire un instant le Vénus en question. Il ne fait pas très distingué mais il respire l'âge. Il paraît très ancien.
J'y pénètre et un serveur me propose une table. Je décline poliment son offre en apercevant Maurice. Je me dirige alors vers sa table.

- Vous êtes sublime, Natacha.
- Merci, vous êtes très élégant aussi.
- Vu qui allait m'accompagner ce soir, je ne pouvais faire autrement, sourit-il.

Son jeu de drague à deux balle se sent à des kilomètres. Mais pour l'instant, j'en suis flattée.
Je m'installe et il appelle un serveur qui repart plus tard avec nos commandes.
S'installe alors un silence des plus lourds. En toute franchise, je m'attendais à quelqu'un de beaucoup plus bavard, ou du moins, qui sache tenir une conversation.

- Apprenons à nous connaître, voulez-vous?
- Oui pourquoi pas, je réponds.
- Vous avez toujours vécu à Portland?
- Non, je suis née au Mali. Et j'y ai vécu toute mon enfance et mon adolescence. Et vous?
- Oh, je suis née au Canada. J'ai emménagé ici pour le travail.
- Et vous faites quoi comme travail, précisément?
- Je suis dans la gestion et développement des petites et moyennes entreprises.
- Intéressant.

Le lourd silence refait son apparition mais est, heureusement, brisé par le serveur qui arrive avec nos plats.
Tout en mangeant, je l'observe discrètement. Il semble vraiment vieux.

- Quel âge avez-vous?
- J'ai 41 ans, et vous?
- 33 ans.

Silence. Ce silence a occupé la majeure partie du dîner. Mis à part les petites questions, il n'y a eu aucune conversation. C'est déprimant.
Je regarde encore une fois ma montre. Cela fait à peine une heure que je suis arrivée mais j'ai l'impression d'avoir perdu 10 ans de ma vie.
Il appelle le serveur à ma demande et lui demande l'addition. Ce dernier revient un peu plus tard avec une petite feuille dans un panier assez raffiné.
Je vois Maurice qui sors sa carte bancaire quand le serveur lui dit, d'un air poli, que le restaurant n'acceptait pas les cartes. Quelle superbe soirée...
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- Et qu'est-ce que tu as fais?
- Ce qu'il y avait à faire, j'ai payé nos deux repas sous son regard humilié. Le comble, c'est qu'il a osé me sortir qu'il allait me rembourser. Non mais t'imagines?
- Quel malpoli. Heureusement que tu ne le reverras plus.
- ...
- Quoi, tu as l'intention de le revoir?
- C'est que le lendemain, il m'a appelé pour s'excuser et m'a invité à prendre un café.
- Tu ne vas pas y aller, j'espère?
- je ne sais pas, Shawn.
- Nat, je le sens pas cet homme.
-...
- Nat?
- Et si... Et si c'était celui que j'attendais?
- Dis moi que tu plaisantes?
-...
- Nat!
- Shawn, je n'en peux plus de cette pression, et aussi je ne veux pas rester célibataire toute ma vie...
- Nat,-
- Non, écoute! Je rêve du mariage depuis que je suis toute petite. Je rêve de cette longue robe blanche, de mon père me conduisant vers l'autel... Mais à cette allure, il y a de forte chance qu'il nous quitte avant de réaliser mon rêve; je retiens un sanglot alors que les larmes coulent déjà sur mes joues.
- Tu pleures?

J'ignore sa question car il connaît déjà la réponse. Je continue alors d'extérioriser tout ce qui se trouve au fond de moi.

- Le souhait de ma mère était de préparer le mariage de sa fille unique dès la fin de ses études, mes tantes ne cessent de la railler aux mariages de leurs filles à elles qui sont bien plus jeunes que moi. Une fille de 33 ans en bonne santé mais célibataire, ce n'est pas normal Shawn!
- Si, ça l'est.
- Pas dans ma culture en tout cas. Mes parents se font vieux, mon petit-frère attend un enfant. Ne te méprends pas, je suis très contente pour lui. C'est juste que, je l'envie un peu. Il est en train de créer ce dont j'ai toujours rêvé.
- Une famille?

Un rire amer m'échappe. Les larmes ne s'arrêtent pas.

- Oui, une famille. Mais tu sais quoi Shawn? Je l'aurais cette famille. Je vais tout faire pour me trouver un mari.
- Arrête tes bêtises Nat, rien ne presse.
- Si, le temps passe. Et il emporte ma jeunesse avec lui.
- Et qu'est-ce qui te dit que c'est ce gars le bon?
- Je ne sais pas. Mais il a un travail, il a l'air mûr et mature et il semble vraiment m'apprécier.
- Laisse le destin faire les choses.
- Je sais, je vais juste lui donner un coup de pouce.

Ouais, je vais aider le destin. Vu qu'il semble m'avoir oubliée.

- Ne fais rien d'irréfléchi Nat.
- Je dois raccrocher.
- Nat?
- Merci de m'avoir écoutée, et d'être toujours là pour moi. Je vais te laisser Chouchou, bye!

Je raccroche sans lui laisser le temps de dire un mot de plus. Finalement, cette idée qui m'avait effleuré l'esprit semble plus attrayante.
Je prend mon téléphone et appelle Maurice.

- Allo?
- Bonjour Maurice, c'est Natacha.
- Bonjour Natacha. Comment allez-vous?
- Bien et vous?
- Je pense qu'on peut se tutoyer, non?

J'hésite. Ce début d'intimité m'a l'air un peu rapide. Mais bon, nous le ferions tôt ou tard alors autant le faire maintenant.

- Oui, ça ne me pose pas de problème.
- Que me vaut ton appel?
- Euh... Votre-, ton invitation pour le café tiens toujours?
- Mais bien-sûr, je veux passer du temps avec toi.

Et moi? Je le veux?
Je ne sais vraiment plus ce que je veux.

- Moi aussi, tu le prévois pour quand?
- Tu es libre Jeudi?
- Non, je travaille.
- Et le week-end?
- Ça me va, je suis libre.
- Bien, Rendez-vous Samedi au parc vers 13h. Ça te convient?
- Oui, c'est parfait.
- Bon, à samedi alors?
- À samedi.
- Il me tarde d'y être.

Je ne sais pas quoi répondre alors je bafouille un "au revoir" et je raccroche.
J'ai assez attendu le bon.

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