III.

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Aujourd'hui, c'est mercredi. Et comme tous les mercredis, je termine plus tôt, vers midi. Je viens donc de quitter mon lieu de travail. Shawn étant en voyage, notre rendez-vous du mercredi se retrouve reporté jusqu'à son retour. J'appelle un taxi et lui donne mon adresse. Il faut vraiment que je me trouve une voiture.
Dès que j'ouvre ma porte d'entrée, la solitude m'ennuie déjà. Je n'ai pas envie de rester chez moi alors je dépose mes affaires, change ma tenue pour quelque chose de plus décontracté et je file chez mes parents.
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La maison où j'ai grandi, au Mali, était bien différente de celle où j'ai fini mon adolescence, devant laquelle je me tiens. Les murs sont en briques rouges et le toit est fait en tuiles. Il y a un jardin à l'arrière, deux eucalyptus et un petit potager, le bijou de ma mère.
Je sonne plusieurs fois juste pour embêter et j'entend un "Ça vient" qui me calme.
La porte s'ouvre sur notre cadet qui me regarde en souriant.

- Cette façon de sonner, franchement. Pourquoi tu ne veux pas grandir?

Je rigole et le sert brièvement dans mes bras. Quand je me détache de lui, je remarque que ce n'est vraiment plus le bébé que nous nous disputions pour nourrir ou bercer. Souvent, à force de vivre avec une personne, nous nous remarquons pas comment elle grandit. Mais en prenant le temps de regarder cette personne, nous remarquons alors à quel point le temps passe vite.

- Sylvain, tu ne deviens que plus élancé!
- Bah si je veux atteindre le panier, j'ai pas trop le choix tu sais?
- Très drôle. Tu ne me fais pas entrer?
- Tu te prends pour un invité?

Toujours une réponse à tout, cet enfant.

- Ah mais ouais, c'est chez moi!

Nous rigolons et il se pousse pour me laisser entrer.
Je viens au moins une fois par semaine ici. Mais la semaine dernière, je n'ai pas pu. Mais rien n'a changé. Rien ne change jamais dans cette maison. La preuve, ma chambre est intacte.

- Au fait, Sysy -
- Ta mauvaise habitude des surnoms ridicules là, oublie. Pas avec moi.

Je l'ignore et poursuis.

- Alors comme ça, on devient majeur demain?
- Oui, enfin! Je vais pouvoir partir loin des parents. Sérieux, vous n'êtes pas cool! Vous êtes tous partis en me laissant seul avec eux.
- Ah mais c'est vrai. Pauvre chéri.

C'est vrai qu'il est seul ici. Moi je me suis acheté un studio, Jonathan s'est pris un appartement avec sa fiancée, Ignace est marié et Denis est à l'université.

- Mais tu ne partiras pas avant le diplôme sauf si tu vas dans une université très éloignée d'ici.
- Je trouverai, t'inquiète.
- Tu grandis tellement vite, je lui dis d'un air songeur.
- Et toi tu vieillis.
- Alors là...

J'attrape un coussin sur le canapé où nous sommes installés et je lui tape avec plusieurs fois. Nous rions tellement fort que nous n'entendons pas la porte qui s'ouvre et se referme.

- Natacha, voyons! Tu as passé l'âge non? Me sourit ma mère.
- C'est sûrement pour ça que les hommes te fuient, rajoute mon père.

Qu'est-ce que je disais? Ce sujet doit toujours s'introduire dans les phrases d'une manière ou d'une autre. Mais je n'ai pas envie de me prendre la tête avec tout ça et me dirige vers la cuisine pour aider maman.

- Tu déjeunes avec nous n'est-ce pas?
- Oui, je veux passer du temps avec vous.
- Avoue que, fainéante comme tu es, tu t'es épargné la tâche de cuisiner chez toi.

Je rigole un moment parce que c'est en partie vrai. Je demande ensuite à ma mère ce qu'elle compte préparer et je m'attelle à l'aider.

En ce début d'après-midi, le climat est des plus cléments. Alors, avec Sylvain, nous avons dressé la table du jardin. Un instant plus tard, nous sommes déjà installés, attendant le repas qui arrive.
Il faut dire que l'odeur de dinde qui s'est répandue dans tout le rez-de-chaussée a réveillé nos ventres affamés. Le concert des gargouillis que font ceux des deux hommes attablés à mes côtés concorde parfaitement avec mon solo personnel.

- Voilà! Annonce ma mère, le plat en main.
- Enfin! Répondent-ils.

Nous nous servons et mangeons avec appétit. Comme toujours, c'est délicieux. La bonne humeur règne à table, cette ambiance est réconfortante. La famille.
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- Un autre café?
- Non, merci Maurice.

Comme prévu, j'avais retrouvé Maurice dans le parc aux environs de 13h, et nous sommes arrivés dans ce café il y a environ 30 minutes. Entre deux cafés et des petits cakes, nous avons pu discuter plus aisément que la dernière fois. Et finalement, j'apprécie sa compagnie. Il est d'un humour assez intéressant et d'une simplicité raffinée.
Je regarde un instant mon téléphone pour avoir l'heure et je le repose sur la table.

- Je suis ennuyeux n'est-ce pas?
- Non non, pas du tout. C'est plutôt le contraire, lui souris-je.

Il répond à mon sourire puis prend ma main qui était restée sur la table. Ce geste me pousse à le regarder tandis qu'il me fixe intensément.
Il joue avec l'anneau argenté à mon pouce puis me regarde à nouveau.

- Ça fait peut-être niais, mais j'apprécie énormément ces moments avec toi.

Je lui souris gentiment et le laisse continuer.

- J'aimerai qu'il y ait des milliers d'autres. Tu penseras sûrement que je précipite les choses. C'est le cas, mais c'est juste parce que je crois au coup de foudre. Tu y crois?

- Maurice, je...

J'essaie de retirer ma main mais il l'emprisonne de plus belle.

- Répond moi. Tu y crois?
- Oui, mais-
- Sors avec moi.
- Non.

Non, ce ne sera pas possible. C'est insensé.

- Non, Maurice. C'est un peu trop tôt , tu ne trouves pas?
- Il est vrai que c'est un peu précipité. Mais je ressens cette chose chaque fois que je te vois, qui m'empêche de dormir sans te visionner dans ma tête.

Ça va trop vite là, je ne le suis plus. Je dois m'éloigner d'ici et aller réfléchir calmement chez moi. Alors je regarde ma montre, prétexte une excuse bidon et m'éloigne sans payer. Tant pis, il me devait de toute façon.

- Réfléchis Natacha, s'il te plaît!

C'est la dernière chose que j'entends avant de sortir presqu'en courant du café, l'esprit chargé.

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Je l'ai trouvé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant