L'après-midi, Sébastien était assis dans son bureau lorsque le téléphone sonna.
- Monsieur Larmel, un certain Joël Maupin demande à vous parler, lui dit Lucile, sa secrétaire. Il prétend qu'il vous connaît à titre privé et que c'est important. J'ai essayé de le dissuader mais il insiste.
Sébastien sentit son sang se glacer dans ses veines. Joël Maupin. Jojo.
Ainsi il n'était pas le seul à se tracasser...
- Merci Lucile, passez le moi, dit-il.
- Bien Monsieur.
Il y eut un petit déclic électronique et il entendit aussitôt :
- Sébastien ?
- Oui, Sébastien Larmel. A qui ai-je l'honneur ?
- Séb ! C'est moi, Joël, Joël Maupin. Le lycée, le théâtre, tu me remets ?
- Joël ? Bon sang ça fait un bail ! s'exclama Sébastien en essayant de prendre un ton jovial.
- Ah ça tu peux le dire. Neuf ans, tu te rends compte ? Je n'ai pas eu de mal à avoir ton numéro professionnel car ton entreprise est super connue, mais alors ta secrétaire, un vrai cerbère !
- Eh oui, que veux-tu, elle est payée pour ça. Sinon je serais dérangé tout le temps.
- Ah ah, tu es devenu un homme important. Ca a l'air de rouler pour toi. Tu as combien d'employés dans ta boîte ?
- Environ 120 personnes en tout. « Rouler pour moi », c'est le cas de le dire.
- Eh ben oui, ça marche du tonnerre, le vélo !
- Je ne me plains pas, effectivement, dit Sébastien. Et toi, que deviens-tu ?
- Bah, je n'ai pas eu ta réussite, je suis simple employé dans un hypermarché. Chef de rayon chez Carouf quoi.
- Bon, tu as du travail, ce n'est déjà pas si mal par les temps qui courent. Et tu es marié, tu as des enfants ?
- Je suis divorcé. J'ai un gamin de 7 ans mais c'est mon ex femme qui le garde la plupart du temps. Je le prends un peu pour les vacances. Toi aussi tu as des gosses ?
- Oui, dit Sébastien. Je suis marié, j'ai un garçon de 7 ans et une fille de presque 6 ans.
- Nickel ça, dis donc !
Il y eut un blanc.
Sébastien savait depuis qu'il avait entendu sa secrétaire prononcer le nom de Joël Maupin qu'il ne couperait pas au sujet de conversation redouté. Jojo ne l'appelait sûrement pas pour prendre de ses nouvelles.
- Euh dis donc, dit Maupin d'une voix devenue soudain moins enjouée, euh, je ne sais pas trop comment te dire...
Il se racla la gorge et se lança :
- Tu as lu le journal ces temps-ci, Séb ?
- Oui, bien sûr, je l'ai lu.
- Tu as vu, il est arrivé malheur à César Mouillefarine hier...
- Je sais bien. Et tu m'appelles parce qu'il est déjà arrivé malheur à Mickaël Lamblin le mois dernier. Je veux dire le même genre de malheur sauf qu'au lieu de recevoir trois balles dans le cœur il en a reçu deux dans la tête.
- Tu... Bon, je vois que tu es au courant. Qu'en penses-tu ?
- Je ne sais pas trop quoi en penser alors je te retourne la question, dit Sébastien, parce que si tu m'appelles, c'est que tu dois avoir ta petite idée, non ?
A nouveau, pesant silence au bout du fil.
- Ecoute Séb. Je ne crois pas aux coïncidences.
- Moi non plus mais bon Dieu, après tout ce temps, ce n'est pas possible. Ca ne peut pas être ça !
- Si seulement tu avais raison. Je voudrais tellement que tu aies raison ...
- Enfin, il était en hôpital non ?
- Oui, en psy, chez les cinglés. Mais je me suis renseigné, enfin disons plus exactement que j'ai eu des échos : il y a un petit moment déjà qu'il est ressorti. Il est guéri, soi-disant.
- Putain de merde, alors il est dehors ! dit Sébastien d'une voix blanche.
- Oui. Je ne sais pas ce que tu comptes faire mais j'ai bien envie d'appeler les autres, moi.
- Attends, il ne faut peut-être pas s'emballer, Jojo. Si tu ameutes tout le monde et que ça n'a rien à voir ?
- On ne peut pas prendre le risque de rester les bras croisés comme ça, à ne rien faire ! Si c'est bien ça, il n'aura aucun mal à te trouver, avec ton entreprise qui a pignon sur rue, et il te flinguera comme un lapin ! Moi je dis que dans le doute, il faut au moins essayer de trouver les coordonnées des autres de façon à être prêts si ça se confirme. Sauf à ce que tu préfères aller te plaindre aux flics ?
- Ne dis pas de conneries Joël.
Sébastien réfléchit à toute vitesse. Joël était pragmatique. Et surtout très lucide...
- Tu as raison, dit-il. Ecoute, je m'occupe de retrouver les deux copines Christine et Marielle, ainsi que Julien et Lucas. Tu te charges de trouver Michel et les trois autres nanas et on se tient au courant.
- Ok. Mais rapido hein ? dit Jojo.
- Compte sur moi. Je te donne mon numéro de portable, on ne sait jamais. Tu notes ?
Il lui donna le numéro, Maupin en fit de même et ils raccrochèrent.
La tête lui tournait.
Il essaya de faire le point : deux tués par balles en un mois, avec ce zigoto en liberté et ce qu'il leur avait promis.
Les cinglés, quand ils ont une idée dans la tête, elle peut y rester longtemps, et virer à l'obsession quelquefois...
Mais enfin, tout de même, après neuf ans !
Le journal disait que, si le calibre de l'arme utilisée pour les deux meurtres était certes le même, les flics se refusaient en l'état de l'enquête à y voir un lien quelconque.
Il paraissait toutefois évident à Sébastien qu'ils ne mettraient pas longtemps, si ce que pensaient Jojo et lui venait à s'avérer exact, à réaliser que l'arme était la même. Et donc que le tueur lui aussi était le même.
Pour autant, le risque qu'ils trouvent un lien entre les deux victimes lui semblait très faible, voire inexistant.
Du moins voulait-il l'espérer.
Et si son passé était en train de le rattraper ?
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Noirs souvenirs
Mystery / ThrillerIl est des choses qu'on préfèrerait oublier, les effacer même, les faire disparaître à tout jamais de la mémoire. Sébastien croyait bien avoir définitivement condamné, à double tour, la porte de son jardin secret. Mais il n'est pas le seul à en avo...