Chapitre 4 - Petite réunion entre amis

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Le reste de la semaine s'écoula et, le vendredi après-midi, Julien Bernard se manifesta de lui-même en appelant Sébastien à son bureau.

Lui aussi avait compris ce qu'il se passait et semblait inquiet. Il était pourtant, et de loin, le moins impliqué dans l'affaire.

Sébastien l'informa de la « réunion » des membres de l'ex compagnie de théâtre, du moins ce qu'il en restait désormais, prévue chez Joël Maupin le lendemain soir et Julien s'empressa d'accepter de venir.

Ils se retrouvèrent ainsi tous les neuf le samedi soir.

Il y avait Joël, bien sûr, Sébastien, Julien, Lucas, Christine, Marielle, Edith, Laurette et Muriel.

Lorsque tous furent arrivés, l'ambiance devint rapidement surréaliste : ceux qui ne s'étaient pas revus depuis l'époque de la troupe de théâtre se retrouvaient et conversaient presque gaiement.

Jojo avait servi à boire.

Sébastien trouva qu'il n'avait guère changé : épais comme un criquet, l'air juvénile, insignifiant comme avant.

Dans cette atmosphère presque conviviale, on aurait dit que certains oubliaient la raison de leur improbable réunion. Et aussi que trois de leurs anciens camarades étaient morts récemment dans des circonstances tragiques...

Pour un peu on se serait cru dans une soirée mondaine.

Seul Julien restait à part, la mine sombre.

Sébastien s'éclaircit bruyamment la voix pour tenter de ramener un peu de calme. Avec son autorité naturelle, il avait toujours été une sorte de leader du groupe et cela parut normal qu'il prenne la parole en premier.

Le silence se fit.

- Bien, dit-il. Je ne vais pas tourner autour du pot, vous savez tous pourquoi nous sommes là ce soir : alors que cette...malheureuse histoire datant de plus de 9 ans et dont aucun d'entre nous ne...peut être fier semblait enterrée à jamais, le frère de Lola recommence ses conneries. Ces pauvres Mickaël, César et Michel ont été froidement abattus dans leur voiture, et par la même arme disent les journaux. Je le croyais interné définitivement après son agression sur Christine et Marielle le lendemain du suicide de Lola mais de toute évidence il est ressorti et règle ses comptes avec nous comme il l'avait promis. Nous en sommes là. La question est de savoir ce qu'il faut faire. On ne peut pas le laisser nous descendre l'un après l'autre et...

- Popopop, je t'arrête tout de suite, Séb, coupa Edith. Moi je ne me sens pas visée, et je ne pense pas que Laurette et Muriel non plus soient concernées : ce n'est pas nous qui avons fait ces saloperies à Lola. Il ne faudrait pas mettre tout le monde dans le même panier : à part Julien ici présent, seuls vous, les mecs, êtes impliqués dans ce viol, y compris les trois qui sont morts. Plus Christine et Marielle qui ont donné un coup de main.

- Eh, oh, tu parles pas de viol ! hurla Jojo. Elle était d'accord, Lola, sans blague ! Elle se fout à poil et vient nous chauffer et après ça on l'a violée ? Non mais faut pas déconner ! Et puis tout le monde était bourré, même toi qui te rinçais l'œil !

- Ouais, reprit Edith, c'est ça, elle était tellement d'accord qu'elle gueulait comme un veau pour que vous la laissiez tranquille et que le lendemain elle s'est balancée dans la Seine, après avoir raconté votre petite partie de bites à l'air à son cinglé de frangin... Vous êtes vraiment une belle bande de salauds !

- « Vous êtes », non mais écoutez-la ! Ne cherche pas à te dédouaner, Edith, tu y étais. Tu ferais mieux de dire « On est tous une belle bande de salauds » ! lui lança Jojo.

Il y eut un silence. Certains baissaient les yeux. Sébastien reprit la parole.

- Bon, nous ne sommes pas là pour nous rejeter les responsabilités. Il s'est passé ce qu'il s'est passé et nous sommes tous d'accord que c'est bien moche. De toute façon, tous ceux qui étaient présents ce soir là sont complices au moins de n'avoir rien fait pour empêcher ou en tout cas de n'avoir pas dénoncé par la suite. Et les faits ne sont pas prescrits par la loi parce qu'ils datent de moins de 10 ans. Je vous rappelle enfin qu'officiellement, cette putain de soirée du 21 juin n'a jamais eu lieu : le corps de Lola a été repêché sur les berges de la Seine, les flics ont conclu à un suicide parce qu'elle était notoirement dépressive et personne n'a écouté les élucubrations de son frère connu pour être complètement timbré, surtout qu'il a accrédité cette thèse tout seul en agressant Christine et Marielle avec un couteau.

- On n'a qu'à aller voir les flics et leur dire qu'on sait qui est le meurtrier, dit Laurette. On ne leur parle pas de la soirée et c'est tout : si les flics n'ont pas écouté les accusations du frère de Lola à l'époque, je ne vois pas pourquoi ils y croiraient plus aujourd'hui. Ils penseront juste qu'il ne s'est pas arrangé avec les années.

- C'est ça, cria Jojo ! Et s'ils rouvrent l'enquête ? On a eu du bol à l'époque qu'ils aient classé le dossier si facilement, tu sais ! Ca a beau dater, si la vérité éclate, on sera tous dans la merde. Je me ferai virer de mon job, Séb perdra sa boîte, Christine et Marielle n'auront plus de clients, on ira tous en taule. Je vois déjà les gros titres dans les journaux : « Une affaire de viol en réunion découverte plus de 9 ans après les faits... la victime désespérée s'est ensuite suicidée, etc »...suivis de nos noms. Ah non, merci bien !

Un brouhaha général s'installa, chacun y allant de son couplet.

Julien se leva et toussa. Il était le seul, lors de cette soirée qui avait dérapé avec Lola, à avoir essayé de mettre le holà avant de quitter les lieux devant la tournure que prenaient les choses.

- S'il vous plaît ! dit-il d'une voix forte.

Le calme revint péniblement.

- S'il vous plaît, répéta-t-il. Je n'ai rien dit jusqu'à présent parce qu'il pouvait être intéressant d'avoir l'opinion de chacun, mais je crois que tout le monde parle un peu à tort et à travers ici.

Il y eut des protestations, qu'il calma d'un geste de la main.

- Oui, à tort et à travers, pour la bonne raison que vous faites fausse route : le meurtrier de Mickaël, de César et de Michel N'EST PAS le frère de Lola, martela-t-il. Il est donc parfaitement inutile - et stupide - de discuter du point de savoir s'il faut aller le dénoncer à la police.

- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? fulmina Jojo. Il a agressé les filles et ensuite il leur a juré que quand il ressortirait, il nous descendrait tous. Or il est dehors et...

- Non, coupa Lucas, il n'est pas dehors.

- Comment ça ? demanda Jojo, il est dehors, on me l'a dit. Et d'abord qu'en sais-tu ?

- Je le sais parce que je me suis renseigné. Ce n'est pas bien difficile pour moi : je suis infirmier à l'hôpital. Tes informations sont fausses, Joël : en réalité le frère de Lola n'est ressorti de l'hôpital psychiatrique qu'une seule fois en neuf ans. Le lendemain de sa sortie, il a agressé sans raison un homme dans le métro puis a pris la fuite et a tenté le soir même de mettre fin à ses jours. Il a été aussitôt replacé en psy. On a depuis diagnostiqué chez lui une pathologie qui a évolué lourdement et le rend dangereux aussi bien pour lui-même que pour autrui. Il n'est plus jamais ressorti et ne ressortira sans doute jamais.

Un silence glacial suivit ces paroles. Tout le monde se regardait avec des yeux hagards.

Muriel sortit enfin de son mutisme :

- Mais alors, fit-elle, si ce n'est pas lui...

- Je crois que tu as compris, dit Julien. Sauf à ce que l'un d'entre nous ait été se vanter de ces lamentables exploits, ce qui me paraît peu probable sauf à ce que l'un de vous me détrompe, nous sommes les seuls à savoir ce qu'il s'est passé ce soir là.

Laurette devint toute pâle et fit d'une petite voix :

- Tu veux dire que c'est l'un d'entre nous qui tue les autres ?

Noirs souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant