2.

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   Jarod me regarde droit dans les yeux avec une lueur de colère. Je me défais de son emprise et imite les autres élèves qui se lèvent après avoir entendu la sonnerie. Je sors de la classe et m'empresse de rejoindre mon casier pour y prendre mes affaires. Je referme la porte quand je vois Jarod arriver vers moi. Il m'attrape la main et me tire jusqu'à la sortie du bâtiment. Il me prend le poignet et tire ma manche presque violemment.
  - Qu'est-ce que c'est ?
   Je baisse la tête, ne voulant pas répondre. Il me prend le menton et me force à affronter son regard remplis de colère. Pourquoi est-il en colère ?
  - Floryne, qu'est-ce que c'est ?
  - À ton avis ? Tu sais aussi bien que moi ce que c'est.
   Il me regarde dans les yeux et lâche mon bras. Il recule de quelques pas, et je baisse les yeux, voulant cacher les larmes qui roulent sur mes joues.
  - Pourquoi tu as fais ça ? Qu'est-ce qui t'as pris de faire ça Floryne ?
   Il relève ma tête et me sourit. Il ouvre ses bras, et m'enlace. Je me sens bien dans ses bras. Je me sens en sécurité, comme si rien ne pouvais m'arriver. Comme si mon père ne pouvais plus me toucher, comme si ma vie était normale, comme si rien de mes malheurs ne m'étaient arrivés. Je me sentais en confiance, alors que je le connais depuis quelques minutes seulement. C'est comme s'il avait percé tous mes secrets et qu'il ne me jugeait pas. 
  - Tu peux tout me dire tu sais.
   Je secoue la tête. Je ne suis pas encore prête à en parler. Je garde ça pour moi depuis plus de cinq ans, alors pourquoi je ne pourrais pas continuer à la faire ? Parce que tu en besoin, me souffle ma conscience.
  - Même si tu n'es pas encore prête, je veux que tu saches que je serais là si jamais tu as besoin de te confier d'accord ?
   Je hoche la tête. Il me tend sa main et je la saisis. Il m'emmène devant la porte de notre prochaine heure de cours et frappe sur celle-ci. Le professeur nous ouvre et nous fait signe d'entrer. Nous arrivons au fond de la salle quand je remarque que nous nous tenons encore la main. Je la dégage rapidement et Jarod me sourit.
  - Tu as un copain ? me demande t-il
  - Non.
  - Alors pourquoi tu as enlevé ta main de la mienne ?
  - Je ne sais pas.
   Je baisse la tête sentant la rougeur me monter aux joues. Il me fait signe de sortir mes affaires. Je regarde le bracelet de Jarod qui trône sur mon poignet. J'aurai peut être dû refusé, alors il n'aurait rien vu. Mais je crois que je suis soulagée qu'il ai vu mes cicatrices. Je partage une de mes douleurs avec quelqu'un, et ça me fait du bien. Je me demande pourquoi il a réagit comme ça. Je me suis peut-être trompée. Peut-être que les gens ne sont pas tous égoïstes.

  - Tu veux que te raccompagne jusqu'à chez toi, j'ai ma moto.
  - Non merci, c'est gentil.
  - T'es sûr ?
   J'acquiesce, il faut que je trouve un travail, sinon, on va mourrir de faim. Je pars en direction du centre-ville où j'espère trouver une place comme caissière. Je trouve un supermarché, j'entre.
  - Bonjour, je voudrais savoir si vous aviez besoin d'une personne comme caissière ou bien juste pour faire deux trois trucs utiles.
  - Vous auriez besoin d'une paye ?
  - Oui, j'ai besoin d'argent.
   La vieille femme hoche la tête et me fait signe de patienter. Elle revient quelques minutes plus tard accompagné d'un jeune femme aux cheveux bleus. Elle me regarde de haut et me demande quelque horaire je pouvais faire.
  - Je peux venir après les cours jusqu'à dix heures du soir environ, ou plus si vous avez besoin.
  - Tu as déjà travaillé ?
  - Oui, à plusieurs reprises.
  - OK, tu peux commencer demain ?
  - Pas de problème. Je termine à dix-sept heures le soir.
  - Très bien. Quel est ton nom ?
  - Floryne Carry.
   La femme aux cheveux bleus hoche la tête et me sourit. Je sors du magasin et prend le chemin de mon immeuble. Arrivée devant la porte de mon appartement, j'entends à travers la porte le son de notre télévision. Mon père est dans le salon. Je déglutis et ouvre la porte en m'aidant de mes clés. Je tombe sur mon père, debout dans le salon à faire les cents pas. Quand il m'aperçois, il se rut vers moi, les yeux remplis de haine.
  - Où étais tu ?
  - J'ai un travail.
   Mon père se recule de moi et me sourit.
  - C'est bien, tu as mérité un peu de repos.
   Il se retourne et part s'assoir sur le canapé. Je vais jusqu'à ma chambre et m'enferme à l'intérieur. Je regarde le bracelet de Jarod. Les fils bleus et jaunes entremêlés forment un joli ensemble. Je le fais tourner autour de mon poignet, jusqu'à ce que mes yeux rencontrent mes cicatrices. Je regarde la lame de rasoir posée dans un coin de ma chambre, et je me jure de ne plus jamais recommencer. Mon téléphone portable sonne et affiche le nom de mon ami sur l'écran. Nous nous sommes échangés nos numéros alors que nous étions en train de manger. Ça m'a fais bizarre de ne pas manger seule. J'avais l'habitude du silence, et j'avais fini par apprécier la solitude. Je me sens bien quand je suis seule. Personne ne me juge, personne ne parle. J'aime le silence. Je décroche et j'entends la voix de Jarod, légèrement modifié à cause du téléphone.
  - C'est Jarod.
  - Je sais, j'ai vu ton nom.
  - Tu es bien rentrée ?
  - Oui, je suis chez moi.
  - Tu as réussie à trouver un job ?
  - Oui, je travaille dans un supermarché dans le centre ville.
  - C'est cool, je suis content pour toi. Mais comment tu vas faire pour tes études si tu passes le reste de ta journée à travailler ?
  - Tu sais, je préfère avoir des mauvaises notes que de mourrir de faim.
  - Qu'est-ce que tu as dit ?
  - Non rien.
   Jarod ne répond plus rien, et je commence a regretter d'avoir dit ça. Il a peut être comprit, mais il a crut qu'il avait mal entendu. Je pense que je vais avoir le droit à un interrogatoire.
  - Si tu veux, je t'aiderai pour tes devoirs ou si tu n'as pas compris quelque chose.
  - Merci, c'est sympa.
  - De rien. Il faut que je te laisse, je vais manger.
  - D'accord, à demain.
   Je raccroche puis repose mon portable sur mes draps. Je sors de ma chambre et passe devant mon père, endormi par terre sous les effets de l'alcool. J'ouvre le frigo, et je me rends compte qu'il est complètement vide. Il restait deux trois trucs hier soir, mais mon père a dû tout prendre aujourd'hui. Super, ce soir, on ne mange pas. Vivement demain midi que je puisse manger correctement à la cantine. Mon assiette est toujours vide lorsque je débarrasse mon plateau. Je n'aime pas laisser des choses, car c'est déjà une chance d'avoir de la nourriture chaude, et bonne. Je soupire et retourne dans ma chambre, où je me couche, le ventre vide.

  - Floryne, tu m'écoutes ?
   Je secoue la tête et regarde Jarod en souriant. Il me propose d'aller dans un parc car nous avons une heure de libre avant de reprendre les cours jusqu'à la fin d'après-midi. Au réfectoire, je me suis jetée sur la nourriture car je mourrais de faim. Je me demande comment mon père a fait. Il faudrait que je puisse voler de quoi manger à mon travail. Je ne prendrais pas des choses trop grosses, parce que si je me fais remarquer, plus de travail. Plus d'argent, plus de nourriture. Je suis Jarod jusqu'au parc. Nous nous asseyons sur un banc près d'un arbre.
  - J'y allais souvent avec ma mère autrefois.
   Jarod se penche en avant et pose sa tête dans sa main. Il me regarde avec un petit sourire, m'encourageant à continuer.
  - Elle s'appelait Clarisse. Elle était très belle. De longs cheveux blonds, de beaux yeux bleus qui lui donnaient un charme exceptionnel. Elle souriant tout le temps. Elle est morte en donnant ma petite sœur au monde.
   Je m'arrête, sachant que le pire moment approche. Si je lui dit, il va se douter de quelque chose. Un père qui frappe son enfant à mort, ça ne soigne pas avec le temps. En même temps, ça me soulagerai d'un poids énorme.
  - Sauf qu'elle aussi est morte, continuais-je.
  - On peux s'arrêter là, me propose Jarod en voyant les larmes couler sur mes joues.
   Je hoche la tête. Je n'en n'ai pas la force. Je n'ai pas la force d'affronter mon père. Quand Jarod sera au courant, il voudra que mon père soit puni. Il irait en prison, et alors je n'aurais plus personne. Je n'ai que lui. Le reste de ma famille est partie vivre aux États Unis alors que mon père et moi sommes restés en Angleterre. Et je connais assez bien mon père pour savoir que quand il sera au courant que je l'ai dit à quelqu'un, il voudra me tuer.

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