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- Floryne ouvre ou je défonce la porte ! Je te promet que je la défonce cette fichue porte !
Mon père tambourine à la porte à coups de poing. Je me lève et prend Jarod par le bras avant de le cacher derrière mon armoire. Il me regarde sans comprendre, et je lui fais signe de ne pas parler. Il n'ajoute rien et s'accroupit dans un coin de la pièce. Je lui jette quelques vêtements dessus pour ne pas qu'on puisse le voir, puis je cours ouvrir la porte à mon père. Il me prend par les cheveux et me tire hors de ma chambre. Il m'emmène dans ma salon, où j'aperçois les bouteilles d'alcool que j'ai volé, vidée sur la moquette.
- Tu n'as pas pris les bonnes bouteilles ! Je ne les aime pas elles, tu le sais !
Il me jette par terre et me lance les bouteilles dessus. La douleur est insoutenable. Des morceaux de verre s'enfoncent dans ma peau, m'arrachant des cris. Il va même jusqu'à ouvrir les placards et en sortir des assiettes pour me les lancer dessus. Je ne souhaite qu'une chose, m'évanouir pour ne plus sentir la douleur. Je ferme les yeux et essaie de fermer mon esprit.
- Lâche là ! cri une voix que je ne reconnais pas tout de suite.
J'entends des bruits de lutte puis plus rien jusqu'à ce que je sente des bras me soulever et m'emmener sur mon lit. Je parviens à apercevoir Jarod à travers les larmes. Il me sourit faiblement et me demande où sont les bandages. Je lui indique la salle de bain d'une voix faible, puis je le vois partir. Faites pour qu'il ne tombe pas sur mon père. Il doit être dans une rage folle à moins qu'il ne soit mort. Ça ne m'importe peut après tout qu'il meurt. Je n'ai aucun amour pour lui. Je n'ai que de la haine. Jarod revient et ferme la porte à clé, et coince la poignée avec la chaise de mon bureau.
- Où est-ce que tu as mal ?
- Partout, murmurais-je en souriant.
Il enlève mon pull et grimace en apercevant les bleus laissés par les coups. Il sort un désinfectant de la trousse de secours noircie par le temps et m'en applique sur mes plus grosses blessures à l'aide d'un coton.
- Il faut que je t'enlève les morceaux de verre qui sont encore dans ta peau, m'annonce Jarod. Ça va faire mal.
Il empoigne un morceau et tire d'un coup sec. Les larmes roulent à toute vitesse sur mes joues. Je vois des gouttes de sueur sur le front de Jarod, puis plus rien, le noir total.

J'ouvre les yeux en grimaçant, la douleur sur mon visage est atroce. Je me relève sur un coude et regarde autour de moi, où suis-je ? Ce n'est pas ma chambre. Je suis dans une grande pièce éclairée par les rayons de soleil traversants les rideaux. Je ressens une présence à côté de moi, et je me tourne dans sa direction. J'aperçois Jarod, la tête dépassant des draps. Il ouvre un œil, puis deux avant de sourire. Il se redresse et s'adosse contre le mur.
- Tu vas bien ? me demande t-il en regardant les plaies dans mon cou et sur mes bras.
- Ça va. Où est-ce qu'on est ?
- Dans ma chambre.
- Quoi ? Pourquoi je suis dans ta chambre.
- Et bien hier, quand tu t'es évanouie, je t'ai porté et je t'ai ramené chez moi parce que tu n'avais pas assez de soins dans ta trousse. J'ai terminé de te soigner ici. J'ai pensé que tu serais plus en sécurité.
- Je suis tellement désolée Jarod. Tu n'aurais jamais dû voir ça.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est ma vie. C'est mon problème.
- C'est le notre maintenant.
- Je me répète peut être, mais pourquoi tu t'intéresses à moi ?
- Parce que je veux que tu sois heureuse Floryne. Tu mérites toi aussi d'être heureuse. Il n'y a pas que les autres, tu sais.
- C'est trop tard. Je ne pourrais plus jamais être heureuse. J'ai trop de mauvais souvenirs. J'ai trop de cicatrices qui même dans vingt ans me rappellerons cette période de ma vie. J'ai reçu trop de coups pour pouvoir un jour les oublier. Je ne souhaite qu'un chose Jarod, juste une chose, que mon père meurt. Je sais ça peut paraître égoïste, parce qu'après tout c'est mon père, mais je ne peux plus. J'en ai marre. J'en ai marre de ma vie de merde. Je n'y arrive plus tu sais. Je me lève tous les matins en me demandant ce qui m'attend aujourd'hui. Je me lève avec la peur au ventre. J'ai peur de croiser mon père. Tu sais, avant que tu m'appelles, je lui ai tout balancé. Je lui ai dit tout ce que j'avais sur le cœur, et je crois que ça m'a fais du bien. Mais tu sais, ça ne s'arrêtera pas avant qu'il ne meurt. Mon supplice prendra fin le jour de sa mort. J'ai déjà pensé à l'assassiner pendant qu'il dormait, mais je n'ai jamais eu la force. Je crois que maintenant je l'ai cette force. Je serais libérée.
Jarod me regarde avec pitié. Je n'aime pas ce regard parce que je me sens faible. Il a pitié de moi, et je ne le veux pas. Il s'approche de moi et me prend dans ses bras.
- Je suis tellement désolé que tout cela t'arrive. Tu ne devrais pas avoir à vivre ça. Personne ne devrait vivre ça. Je vais t'aider Floryne, je vais te libérer de tout ça d'accord ?
Je hoche la tête et mon ami sort du lit et sort de sa chambre. Il revient armé d'un plateau remplis de nourriture. Je regarde les assiettes avec envie. Je n'ai même pas eu le temps de manger hier soir. Mon père doit se demander où je suis. Forcément, il a besoin de quelqu'un qui lui fasse à manger et qui ramène de l'argent. Qu'est-ce qu'il deviendrais si je venais à ne plus jamais retourner là bas ? Comment fera t-il pour manger ou bien payer le loyer ? Toutes ces questions sortent de ma tête quand j'aperçois l'heure. Je suis en retard pour les cours. J'essaie de me lever, mais je ne parviens pas à tenir debout, et je me rassois. Jarod vient vers moi et m'ordonne de ne pas bouger.
- Tu as mal où ? Aux jambes ?
- Oui.
Il s'accroupit et soulève le bas de mon jean. Mes jambes apparaissent alors, couvertes de bleus. Jarod contracte sa mâchoire en les voyant. Il secoue la tête de colère et m'applique un bandage sur ma jambe droite. Il se relève et me tend le plateau. Il ne parle plus.
- Qu'est-ce que tu as ? demandais-je en croquant dans un croissant.
- Tu as des bleus partout ! Comment peut-on frapper sa fille ? Comment c'est possible ? Comment c'est possible de traiter sa fille avec si peu de respect ? Ça me révolte. Pardonne moi, mais si jamais je le revois, je le tue. Je veux lui faire payer tout ce qu'il t'a fait subir durant toutes ses années. Je veux qu'il ressente la même douleur que celle que tu ressens quand il te frappe. Je veux qu'il comprenne le sens du mot douleur. Je veux qu'il souffre. Il me dégoûte.
Et encore il ne connaît pas tout. Comment réagira t-il quand il apprendra que mon père a aussi tué sa deuxième fille ? Est-ce que je devrais lui dire maintenant ? Non, il est déjà assez énervé. Je soupire et termine le verre de jus d'orange alors que Jarod rumine dans son coin. Il se lève et avant qu'il ne quitte la chambre, je l'interpelle.
- Où va tu ?
- Je vais appeler le lycée pour les informer de notre absence. On ira en cours demain.
- Et pour mon travail ? Je ne peux pas me permettre de ne pas y aller !
- Tu as vu ton état ? Tu leurs diras que tu as fais une mauvaise chute dans les escaliers et que tu étais à l'hôpital.
- Et mon père ? Il va mourrir de faim.
- Tu penses encore à lui ? Tu penses à lui malgré tout ce qu'il t'a fait subir pendant toutes ces années ? Tu t'inquiètes de son état alors qu'il te traite comme une moins que rien ?
Je ne répond rien et baisse la tête. Il a raison après tout, pourquoi je m'inquiète pour lui ? Qu'est-ce que ça peux me faire si il meurt de faim ou d'ivresse, c'est ce que je souhaite après tout non ? Jarod s'approche de moi et me prend dans ses bras.
- Je suis désolé Floryne. Je n'aurai pas dû dire ça.
- Ce n'est pas grave. Tu as raison en fin de compte.
Il me sourit gentiment avant de sortir de sa chambre. Je me recouche dans le lit, la tête sous les draps. L'odeur de Jarod me monte jusqu'au narines et je frisonne. Faire sa rencontre à été une renaissance dans ma vie. Pourtant, je ne le connais que depuis trois jours. Il m'aide tellement. Il a même réussi à me redonner le sourire. Il a réussi à me faire rire alors que ça faisait des années que je ne l'avais pas fait.
   Comment ai-je réussi à tenir sans lui ? Comment j'ai réussi à vivre plus de cinq ans sans personne à qui parler, à qui me confier ? Il est là pour me réconforter, m'encourager. Il m'aide à ne pas lâcher, à tenir bon, parce qu'à part lui, qu'est-ce qui m'empêche de sauter du haut d'un immeuble ? Qu'est-ce qui m'empêche de commettre un acte irréversible, de mettre fin à ma vie ? Qu'est-ce qui m'empêche de me libérer de la douleur que je subis chaque jour ? Rien.

Le bonheur introuvableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant