Songes

64 10 0
                                    

J'ai comme l'étrange impression de flotter.
Je suis, il me semble, au beau milieu de nombreux nuages dans le ciel, c'est magnifique. J'ai le sentiment d'être libre, sauf que ces nuages ne veulent pas de moi. Ils s'agglutinent autour de mon corps et cherchent à me repousser plus bas vers la terre.
J'aimerais me débattre mais la pression accrue des masses voluptueuses me ramène de plus en plus vite chez moi, et je chute, je chute sans en voir la fin...

Mes yeux s'entrouvrent en douceur. Je fixe le plafond sans bouger tandis que mon regard papillonne afin d'en retirer le lourd poids du sommeil. Je baille, encore perturbé par mon rêve puis me retourne vivement sur le côté afin de rester éveillé avec l'espoir de me remémorer l'éphémère rencontre d'hier.

Cloé...

Je chasse vulgairement son prénom de mon esprit. Je me souviens d'avoir imaginé que nous nous recroiserions, mais est-ce vraiment possible ? Qui me dit qu'elle retournera un jour au même endroit ? Et comment la retrouver, parmi tant d'autres personnes, dans cette ville ? Peut-être qu'elle n'habite même pas ici mais plus loin, ou pire, peut-être qu'elle ne vient pas de cette région et qu'elle n'est que de passage ? Tout semble possible.
Pourtant je veux y croire, à cette possibilité de nous rencontrer une deuxième fois...

J'abandonne mes réflexions matinales et me lève vivement. Mon état s'est amélioré et je me sens mieux bien que je sois resté longtemps, hier soir, dans le froid. Je ne ressens plus non plus la sensation d'être malade.
Je chausse maladroitement mes chaussons et descend. Une fois en bas je me faufile dans la cuisine afin de me faire un thé. Le temps que l'eau chauffe, j'ouvre à côté de la cuisine une porte donnant sur la chambre de mon ami. Pour ne pas changer il dort si profondément qu'il ronfle à pleine puissance; je laisse paraître un léger sourire en coin et referme derrière moi.
Une fois l'eau ébouillantée et versée dans mon bol, je me dirige vers le salon en face. Ici, l'atmosphère est différente des autres endroits de l'appartement, une sensation d'apaisement et de mélancolie s'y dégage. J'observe tout autour de moi en soupirant, serein. Ce sont les livres, albums photos et tableaux -venant contraster avec la télé, le pc sur le bureau et la console de jeu- qui apportent ces ressentis. Je parcours de mes doigts mes quelques romans préférés pour en prendre un au hasard puis je m'affale lourdement sur le canapé de cuir. Le jour des fourmis, de Bernard Werber.
Bien qu'il ai un grand intérêt à mes yeux je ne veux pas l'entamer sans relire le tout premier tome, je le pose donc sur la table basse en face de moi et agrippe mon bol à deux mains. Je ne prend pas la peine d'allumer la télé, ça ne m'intéresse pas.
Cloé...

Tout à coup je sens une masse importante sur mes épaules.
Pris par surprise, je sursaute en manquant de renverser tout mon thé puis balance la tête en arrière afin de voir ce qui est si lourd : Ce n'est qu'Alexandre.

<< Putain, tu m'as fait peur ! Gros con !

- Oh mon ami, la vulgarité ! Je t'assure que c'était trop tentant. T'étais tout calme, tu vois, il fallait bien que...

- ça va, ça va, je rigole, lui dis-je avec un sourire. Bien dormi ?

- Plutôt tranquille... Attends, tu ne me demandes jamais ça ?! Je suis certain que t'es encore venu voir si je ronflais !

Nous rions un bon coup puis finissons tout de même par nous dire bonjour. Il s'esquive juste le temps de me rejoindre avec un café à la main.
La vapeur de nos deux tasses danse légèrement dans l'air et semble inviter cette sorte de poussière volante, qu'on ne peut voir que lorsque les rayons du soleil apparaissent, dans sa valse. Les deux matières se mélangent, et l'apaisement du moment vient proposer une sérénité des plus totales face à cet acte silencieux. Je ferme les yeux et savoure cet instant.

- Eh, Nolwen ?

Je me retourne légèrement pour faire face à mon ami.

- Quoi ?

-T'es bizarre. Il t'es arrivé quelque-chose hier ?

- C'est vrai que je ne t'ai pas raconté, commencé-je, c'était assez spécial, j'étais tout simplement affalé dans l'herbe quand j'ai rencontré une fille.

- Mais, et alors ?

Il me regarde d'un drôle d'air. Je lui répond :

- Nous ne nous connaissions pas. C'était une fille aux cheveux roux, elle était magnifique.

Il soupire et regarde le plafond en marmonnant :

- J'aurais préféré un beau type baraqué...

Je lui donne amicalement une tape à l'épaule.

- Écoute-moi plutôt. Le soucis est qu'elle ne m'a donné que son prénom et rien d'autre. Je ne sais même pas comment la retrouver. C'est triste, tu ne trouves pas ?

Je sais que je n'ai pas besoin de lui préciser à quel point elle m'intéresse, il l'a deviné lui-même. Je n'ai que très rarement parlé d'une fille de cette manière, ainsi, il me fixe en arquant un sourcil avec un regard plein de sous-entendus.

- Vraiment ? C'est dommage. Et elle s'appelle comment ?

- Cloé...

Un instant de flottement se fait ressentir. Il ouvre la bouche puis la referme comme si il avait voulu gober tout rond quelque chose d'invisible. Il me lance un de ses plus grand sourires.

- Ton étrange fille, là, elle n'aurai pas des yeux de vipère ?

Il réfléchis rapidement, puis recommence.

-Par rapport à sa couleur ?

Je fronce les sourcils d'un air étonné.

- Si. Pourquoi ?

Il ne cesse de sourire sans me répondre. Comme cela commence à m'agacer, j'insiste en répétant ma question.

Mon cœur ne fait qu'un bond lorsque je l'entend prononcer très clairement cette dernière phrase :

- Je la connais, je crois. >>

Je suis agréablement surpris.
C'est si improbable...

Souviens-toi Where stories live. Discover now