12- Refus

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Un dossier claqua violemment sur mon bureau, entraînant une onde de choc qui fit vaciller mes cheveux.
Cela me fit sortir automatiquement de mes pensées et me rappela à la réalité.

Je relevai alors la tête et ne fus pas surprise de me retrouver face à Ribisi.

-Qu'est-ce-que tu fous ? demandai-je sèchement.

-Ça fait deux semaines que tu es là, commença-t-il.

-Finement observé, fis-je remarquer avec ironie.

-Je ne plaisante pas. Ça fait deux semaines que tu es là, et tout ce que tu as fait, c'est écrire une malheureuse lettre.

Je jettai un œil au dossier qu'il venait de jeter sur mon bureau et reportai très vite mon attention sur ses yeux noirs.

-Moins j'en sais, mieux je me porte.
De toute façon, je ne sais même pas ce que vous voulez que je lui dise alors...

-Tu es une journaliste, alors tu investis l'affaire et tu vois après ce que tu peux tirer du dossier, intima-t-il d'une voix ferme.

Il jeta un dernier morceau de papier sur le bureau, que j'écartai d'un revers, ennuyée.
Avant de disparaître pourtant, Ribisi me lança, en jetant par dessus son épaule :

-Et tu réponds à cette lettre.

Un sourire mesquin avait semblé glisser sur ses lèvres. Cependant, celui-ci avait été si bref, que j'en vins à me demander si je ne l'avais pas tout simplement rêvé.

Je préferais me concentrer sur la situation présente.

Aussitôt, une lumière scintilla dans mon esprit, lorsque je réalisai ce qu'il venait de dire, comme si la vie y avait été de nouveau insufflée. Avait-il réellement prononcé ce mot ?

Après plus d'une semaine, je dûs avouer que j'avais commencé à perdre patience, et à désespérer d'un jour trouver cette lettre entre mes mains.

Pourtant elle était bien là. Devant mes yeux s'étalait cette enveloppe, recouverte en son centre d'une écriture maladroite, mais agréable à contempler. Son bord avait été déchiré, certainement lors de l'envoi, ou de l'ouverture.

Mais qu'importe, elle était là.
Je la saisis dans mes mains tremblantes. Je ne savais pas quoi penser. Des milliers d'hypothèses et de scénarios divers venaient se percuter dans mon esprit.

Je n'avais jamais su pourquoi, mais les lettres m'avaient toujours terrorisée. Les lettres appartenaient au langage réfléchi. Je pensais que les écrits pouvaient être assassins, plus percutants dans la durée, que des mots lancés en plein air, dans un instant de colère.

Et c'était justement des quelques phrases contenues dans cette lettre, que dépendait mon avenir professionel.

Mes mains saisirent le papier avec appréhension et le tirèrent hors de l'enveloppe.
Je dois avouer que la première réaction qui me traversa fut la surprise.

Quel autre sentiment aurait pu m'animer à la lecture des huit uniques mots, écrits en plein milieu de cette immense feuille ?

Je restai bouche bée. Je dois dire que je ne m'étais absolument pas attendue à un refus. Et encore moins si brutal.

"Je n'ai pas besoin de votre aide."

Voilà ce qui y était écrit.

Cela me blessa au plus profond de mon être, même si je me refusais à le laisser transparaître.
Je m'étais tout de même beaucoup investie dans cette lettre, je m'étais confiée à un inconnu, je lui avais livré certaines de mes peines, certains de mes sentiments.
J'avais cru m'attirer sa sympathie de cette façon.

Mais j'avais échoué dans cette tâche.
Le sourire de Ribisi me revint comme un poing en pleine figure. Lui et Probitas savaient tous deux ce qu'il en était. Je devais, à tout prix, redresser la situation.

Une seule difficulté semblait toutefois se poser : je ne savais pas comment.
S'il s'obstinait à me rejeter, je voyais mal comment exiger une correspondance de sa part.
Il ne me restait plus qu'à le forcer à changer d'avis.

Toute la sympathie et la culpabilité que j'avais pu ressentir à son égard avaient définitivement disparu. Toutefois, je devais réussir à faire transparaître dans ma réponse toute la douceur et l'amabilité qui me caractérisaient.

Sans attendre, je me saisis d'une feuille et de mon stylo plume et commençai à noircir le papier.
Mon écriture était tremblante, enragée, déçue, destabilisée, mais mes mots, eux, soigneusement choisis. Il fallait que je le fasse plier en quelques paroles, et que je communique toutes les émotions et intonations à travers l'imaginaire de cet homme.

Et je puis vous assurer que la tâche n'était pas aisée.
Je repensai à son visage, à ses yeux qui avaient semblé me contempler à travers la photographie. Je n'arrivais pas encore à cerner sa personne, mais il fallait que j'essaie.

Je laissai donc ma plume déambuler sur la missive.

Si tu ne veux pas me parler, c'est ton choix. Si tu crois que tu es mieux tout seul, que tu n'as pas besoin d'aide et que tu peux te renfermer sur toi-même en ruminant à longueur de journée, c'est ton choix.
Si tu crois que demander de l'aide, c'est pour les faibles, c'est ton choix.
Mais ce n'est pas le mien.

Je refuse d'abandonner la mission que je me suis fixée, car moi je n'ai pas honte de le dire, j'ai besoin d'aide, aujourd'hui. Et je suis persuadée que tu pourrais te révéler le remède contre les maux qui me rongent.

Ma vie n'a aucun sens.

Dès aujourd'hui, je peux te promettre une chose, c'est que je continuerai de t'écrire.
Et je peux t'assurer, que même après ces quelques mots, tu ne me connais pas. Tu n'as aucune idée de ma détermination, ni de mes limites.

Maintenant, deux solutions s'offrent à toi : soit tu saisis cette opportunité, soit tu jettes mes lettres une à une, sans même prendre la peine de les ouvrir et sans voir la main tendue qui est à ta portée. C'est ton choix.

En espérant que tu fasses le bon,

Manon.

Cœur prisonnierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant