16- Visite

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L'écho de mes pas se répercutait dans le couloir froid et désertique.
Quelle idée saugrenue m'avait encore traversé l'esprit ? Ou plutôt celui d'Alexandre, à la réflexion.

Au bout d'à peine une seconde passée dans ce lieu sordide, je me fis la promesse de ne plus jamais écouter ses conseils. Et cela, sous peine de me retrouver en plein après-midi à suivre un gardien de prison qui me conduisait vers un homme qui, de toute évidence, n'avait aucunement l'envie de me rencontrer.

Les couloirs se ressemblaient tous et se succédaient à une allure impressionnante. J'aurais eu beaucoup de mal à sortir du batîment toute seule. Je serais probablement morte de faim avant d'avoir réussi à rejoindre la lumière du jour.

Malgré ces perspectives peu rassurantes, j'avouai volontiers que la panique s'était emparée définitivement de moi, quelques secondes avant de passer le portique de sécurité. Mes différentes rencontres avec ceux-ci dans les aéroports m'avaient laissé de très mauvais souvenirs.

Finalement, pour la première fois de ma vie, aucun incident et aucune alarme stridente ne vint perturber cette étape. Cela représentait déjà une victoire personnelle. Pourtant, le plus dur était loin d'être passé.

Quand je pense que je prenais ça sur mes jours de congés ! Cette discussion avait intérêt à porter ses fruits.

Après quelques minutes, nous rencontrâmes une nouvelle porte, la dernière, je l'espérais.
Le gardien fit signe à son collègue, dissimulé derrière une épaisse vitre, qui semblait à l'épreuve de toute forme d'agression. Une légère sonnerie retentit, puis je pus accéder à la salle de rencontre. Ce n'était certainement pas le terme le plus adapté à la situation, mais il était bel et bien le seul à me venir à l'esprit.

Je marquai un arrêt sur le pas de la porte, détaillant les deux hommes qui attendaient visiblement une visite, assis derrière la vitre épaisse. Celui de gauche avait une stature plutôt frêle et ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans. Il risqua un regard vers moi, avant de reporter son attention vers ses genoux, me laissant toutefois le temps de rencontrer ses yeux rougis. Il ne devait pas être ici depuis bien longtemps.

Le second, en revanche, me regardait avec insistance, sans même prendre le temps de cligner des yeux. Et comment ne pas remarquer ses iris d'un bleu presque translucide, couplés d'un sourire d'une blancheur impeccable ? C'est donc tout naturellement que je reportai mon attention vers cet individu.

-Numéro six, m'indiqua le gardien.

Je le remerciai d'un regard et sourit au tas de muscles aux allures de Ken, en me rapprochant de la chaise qui lui faisait face. Je jetai un rapide coup d'œil au numéro qui était peint quelques centimètres au-dessus de la vitre.

-Numéro quatre, soufflai-je, en haussant les épaules, une mine désolée prenant place sur mon visage.

L'homme arqua un sourcil sans comprendre, tandis que je m'éloignais deux places plus loin avec regret. Au moins celui-ci avait l'air enclin à la discussion. Les légères cloisons qui séparaient les différentes cabines m'empêchaient de voir mon interlocuteur. Par conséquent, à mesure que mes pas m'éloignaient de l'entrée, une masse se matérialisait dans mon estomac et semblait me tirer vers des profondeurs bien trop sombres.

Lorsque je passai la tête derrière la cloison avec appréhension, je fus soulagée de voir que "l'autre", comme il me plaisait tant de l'appeler, n'était pas encore présent.

Je pris alors place sur la chaise on ne peut plus inconfortable et me résolus à attendre. Mes mains moites n'étaient toutefois pas devenues sèches et mon rythme cardiaque était loin d'être à la normale.

Je m'appliquai donc à penser à quelque chose d'agréable, comme ma mère ne cessait de me le répéter.

Je fermai les yeux.
Mon esprit s'évada alors vers des océans de crème anglaise et des plages de chocolat noir. Pourquoi ne pas rajouter quelques poires, à tremper dans le chocolat ?
Et des fraises !

-J'ai pas de fraises. Mais j'ai une banane s'tu veux !

J'ouvris un œil pour voir qui avait bien pu prononcer ces quelques paroles.
C'est donc sans surprise que mon œil se posa sur Tas de Muscles, qui s'était visiblement déplacé de deux chaises, dans l'espoir que nous discutions.

Je revêtis un sourire forcé et lui répondis simplement :

-Non, merci.

-Nicolas, retourne à ta place ! ordonna l'un des gardiens.

Tas de Muscles se leva et me fit un clin d'œil avant de regagner son siège.
Mi-amusée, mi-inquiète, cet énergumène avait tout de même réussi à détourner mon attention durant une minute. Et je lui étais reconnaissante pour cela.

Alors qu'il disparaissait, une nouvelle figure prit place face à moi. Je n'eus pas même le temps de le contempler, que cet homme prenait déjà la parole.

-Je vois que vous avez fait la connaissance de Nicolas.

Il avait dit cela d'un ton neutre, ne laissant transparaître aucune émotion. Son visage éveilla en moi des souvenirs, ceux d'une photo que j'avais trouvé au beau milieu du dossier que l'on m'avait fourni le premier jour. Il n'y avait pas de doutes, ces yeux noirs, ces cheveux en bataille, je les avais déjà contemplés.

Toutefois, je dûs admettre que cet homme me faisait une bien meilleure impression que celui que j'avais vu ce jour-là. Ses cernes avaient, en grande partie, disparu et il s'était visiblement décidé à se raser.

Je hochai la tête.
Après m'avoir fait cette remarque, un sourire passa sur son visage.
Au moins il n'était pas d'une humeur massacrante.

Je n'avais pas songé un seul instant à ce que je pourrais lui dire. Le fait était que j'avais besoin de lui. Mais je ne pouvais pas le forcer à communiquer avec moi. Je n'avais aucun moyen de pression sur lui.

Tandis que mon esprit se tordait en des gymnastiques impossibles, il rompit le silence, m'évitant par la même occasion de me ridiculiser dans une conversation inintéressante et particulièrement inutile.

-Alors, Manon, que puis-je faire pour vous ?

Finalement, le fait qu'il ait parlé en premier ne m'était pas d'une grande aide.

-Tout d'abord, je vous remercie d'avoir accepté de me rencontrer, commençai-je, afin de gagner un peu de temps, pour réfléchir à ce que je dirai par la suite.

-Je vous l'ai dit dans ma dernière lettre, je suis curieux. Et quand j'ai appris que vous étiez là, je me suis décidé à venir, avoua-t-il.
Vous aviez raison, continua-t-il sur un air de défi, vous n'abandonnez pas facilement.

Je m'autorisai un léger sourire, ravie qu'il ait remarqué cela. C'était un trait de caractère dont j'étais plutôt fière, je devais l'avouer.
Cependant, celui-ci glissa de mon visage lorsque ces mots franchirent les lèvres de cet homme.

-Ce qui m'amène à ma seconde question : pourquoi avoir tenu bon ?

Je ressortis alors les mots que j'avais écrit. Ceux qui étaient contenus dans ma première lettre et tentai de les réciter de la manière la plus convaincante possible.
Malheureusement, faire face à un visage plutôt qu'à une lettre était un exercice bien plus rude.

Une fois ceci fait, le silence s'installa. Mon correspondant semblait me jauger du regard et ne me quittait pas des yeux.

-Vous savez pertinnement que je ne vais pas gober ça, n'est-ce-pas ? interrogea-t-il après une minute, mi-sérieux, mi-amusé.

-A vrai dire, je l'espérais.

Cœur prisonnierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant