La confrérie

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Mai 1550, Highlands, Ecosse.

Shieldaig, Confrérie des Soeurs Courage

Arthur me tire par le bras.

- Allez, viens Ellia, tu n'as plus rien à faire ici. Dépêchons-nous, nous devons trouver un refuge avant la tombée de la nuit.

Je n'arrive pas à détacher mon regard de cette abomination. Ma famille...je n'ai plus personne, je suis seule désormais. J'ai du mal à reprendre mon souffle tellement je sanglote.

- Arthur....Tu as vu ? Son bébé...ce sont des monstres ! Comment des êtres humains peuvent-ils faire de telles atrocités ? J'aurais voulu mourir avec elles, c'est trop dur, je n'y arriverai pas toute seule. Que vais-je devenir ?

- Je resterai avec toi et je te protégerai. Tu ne manqueras jamais de rien, Ellia, je te le promets. Nous allons nous marier et je prendrai soin de toi. Allons-y, je connais une grotte pas très loin d'ici.

Arthur me prend la main et nous courrons loin de cet endroit maudit. Ma vue est brouillée par les larmes et je serais tombée maintes fois si Arthur de m'avait pas tenue solidement contre lui. Arrivés à la grotte, il prépare un feu et vient s'asseoir à côté de moi, me prenant dans ses bras. Sa chaleur me réconforte un peu mais je tremble de tous mes membres, de peur et de chagrin.

- Tu es brûlante ! Ellia, ouvre un peu ta robe et allonges-toi près de moi.

Je le regarde avec suspicion.

- Dors ma belle. Tu es en sécurité avec moi, je ne te toucherai pas, tu peux me faire confiance.

Je me couche à même le sol et place ma tête sur ses genoux. Sa main me caresse les cheveux, tendrement, et je sombre dans un sommeil agité.

Je me réveille en sursaut quelques heures plus tard, fiévreuse et courbatue, persuadée d'avoir entendu des chevaux. Arthur est contre moi et me tient dans ses bras. Je me dégage doucement de son étreinte et me dirige à l'entrée de la grotte. La lune est encore haute dans le ciel et je remarque au loin, en direction du village, des rougeurs de flammes. Ce pourrait-il que les soldats soient revenus pour finir le travail, pour chercher la dernière sorcière et mettre le village à feu et à sang en représailles, déçus de ne l'avoir trouvée ?

Je regarde Arthur avec tristesse. Il m'a sauvée, mais je ne peux lier mon destin au sien, je le mettrais en danger. Je ne peux l'épouser car je ne l'aime pas ! Je vais marcher à la faveur de la nuit et je dormirai la journée. Je sais où aller demander asile. Je m'arme de courage et m'élance dans la nuit.

Après trois jours de marche, me nourrissant exclusivement de baies, j'arrive devant le porche de la Confrérie des Soeurs Courage. Je frappe au heurtoir. Une petite lucarne s'ouvre presque immédiatement. Je demande à parler à Mère Josepha, responsable de la Confrérie et amie d'enfance de ma mère. Je ne l'ai pas revue depuis de nombreuses années, mais je sais qu'elle me reconnaîtra. La porte s'ouvre et une jeune femme me demande de la suivre. Elle me conduit à un petit parloir et me propose de m'asseoir à une table.

- Je vais faire demander un petit en-cas en cuisine, vous devez avoir faim, ma pauvre enfant. Je vois que vous venez de loin, vos habits sont poussiéreux et tout abîmés. Qui dois-je annoncer à notre Mère ?

- Ellia Sylvester, fille de Mathilda Cromwell. Merci beaucoup ma Soeur.

Elle incline la tête et sort de la pièce à petits pas. J'allonge mon bras sur la table, pose ma tête dessus et m'endort instantanément, me sentant enfin en sécurité.

Une voix m'appelle dans un murmure. J'ouvre péniblement les yeux, mais mes souvenirs me percutent de plein fouet et je me redresse en hurlant. Mère Josepha est près de moi et je tombe à genoux à ses pieds. Je sanglote tellement que je suis incapable de parler.

- Ellia, ma fille, relèves-toi. Que t'arrive-t-il mon enfant ?

- Ma mère, si vous saviez...ils les ont brûlées, toutes les trois, même le bébé de Rosine. C'était horrible, je n'avais nulle part où aller alors je suis venue à vous.

- Et tu as très bien fait, ma petite. Seule sur les routes, tu as eu bien du courage. J'ai appris pour ta pauvre mère, j'ai eu beaucoup de peine. Nous aurions du nous voir plus souvent, enfin, c'est la vie ! Viens, allons nous asseoir, tu vas tout me raconter, ensuite tu iras dormir dans un vrai lit.

Elle me conduit vers un banc le long du mur. Assises l'une à côté de l'autre, je lui raconte le massacre de mes soeurs par les hommes du laird MacKenzye et toute couleur quitte son visage. Elle place une main sur sa bouche et de grosses larmes coulent sur ses joues.

- Oh, mon Dieu, comment peut-on faire une chose pareille ? Es-tu bien sûre de ce que tu avances? C'est très grave de porter des accusations sans preuves.

- Oui, ma Mère, je suis sûre ! Le garçon qui m'a sauvée a très bien vu les armoiries du laird. Il nous déteste depuis toujours et a certainement voulu récompenser ses hommes en nous donnant en pâture. En même temps, il éliminait une famille de sorcières, qui faisait tache dans sa contrée et dont les villageois se méfiaient.

Mère Josepha se signe et me prend les mains.

- Je suis désolée, Ellia, tellement désolée pour tout ce que tu as du endurer. Nous dirons des prières pour tes pauvres soeurs. Malheureusement, c'est tout ce que je peux faire ! Le laird est très puissant ici aussi, nous ne pouvons attirer son courroux sur notre Confrérie. Mais rassures-toi, tu es en sécurité chez nous, tu as bien fait de venir frapper à notre porte. Quelle idée avais-tu en tête en venant ici ?

- Et bien, je veux faire partie de votre Ordre, ma Mère, si vous le voulez bien. Je veux soigner et aider mon prochain. J'accepterai toutes les missions que vous voudrez bien me confier.

- Connais-tu vraiment les Soeurs Courage ? Sais-tu ce qu'elles sont amenées à faire ?

- Oui...je crois, ma Mère.

- Bien. Je te ferai passer des tests et je te donnerai ma réponse rapidement. D'ici deux jours maximum, tu seras fixée. Si je ne t'accepte pas comme Soeur Courage, tu pourras toujours rester ici et aider au bon fonctionnement de cette maison. Mais quelque chose me dit que tu feras une excellente recrue.

Je respire enfin, sûre d'avoir pris la bonne décision. Dans quelques jours, je deviendrai une des Soeurs Courage, une des leurs, membre de cette Confrérie centenaire. Ces femmes sont connues et respectées à travers tout le Royaume, pour leur dévouement et leur abnégation. Elles ne sont pas religieuses, mais vivent dans l'amour de l'autre et le sacrifice. Elles sacrifient leur vie propre pour aider les hommes de cette contrée qui en font la demande écrite et argumentée à la Confrérie.

Souvent, on demande leur aide pour la gestion d'un domaine ou l'éducation des enfants, la femme du demandeur étant le plus souvent morte en couches. Plus rarement pour sauver des âmes perdues. Certaines familles fortunées font parfois appel à la Confrérie pour des garçons aux moeurs débridées qu'il faut remettre dans le droit chemin.

Deux jours plus tard, revêtue de la tenue des Soeurs Courage, reconnaissable entre toutes, je suis intronisée et une mission m'est confiée.

Dès le lendemain, je dois me rendre dans une petite ville distante d'une trentaine de kilomètres, aider dans une auberge comptant plusieurs chambres. La femme du demandeur vient de mourir et il se retrouve seul à faire marcher son commerce. Celui-ci doit être très florissant, compte tenu de la somme demandée pour mes services.

Je dis au-revoir à Mère Josepha et suis conduite en carriole vers ma nouvelle destination, heureuse d'entrer enfin dans l'action...







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