Je vins dans les villes au temps du désordre,
Quand la faim y régnait en maîtresse,
Je vins parmi les hommes au temps de la révolte,
Et je me révoltai avec eux.
Ainsi passa le temps
Qui me fut imparti sur terre.
Je mangeai ma pitance entre les batailles,
Je me couchai parmi les assassins.
Je fis l'amour sans m'en soucier
Et je regardai la nature sans patience.
Ainsi passa le temps
Qui me fut imparti sur terre.
Mes forces étaient modestes. Le but
Restait lointain.
Distinctement visible, mais pour moi
A peu près inaccessible
Ainsi passa le temps
Qui me fut imparti sur terre.
Vous qui émergerez des flots,
Où nous avons sombré,
Souvenez vous aussi,
Quand vous parlerez de nos faiblesses,
Des temps obscurs
Dont vous aurez rechapé,
Ne passâmes-nous point, changeant plus souvent de pays
Que de chaussures
A travers les guerres des classes, désespérés,
Quand il n y avait partout qu'injustice
Et jamais révolte ?
Et pourtant nous savons bien :
La haine contre l'ignominie,
Elle aussi défigure nos traits.
La colère contre l'injustice,
Elle aussi rend rauques nos voix. Hélas nous
Qui voulions préparer la terre pour l'amabilité
Ne pûmes être aimables nous-mêmes.
Mais vous, quand les temps seront mûrs,
Quand l'homme sera un soutien pour l'homme,
Souvenez-vous de nous,
Avec indulgence.
Bertolt Brecht A ceux qui naîtront après nous