Acte 3, Scène 2

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HENRIETTE, PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, TRISSOTIN, L'ÉPINE.

PHILAMINTE
Holà, pourquoi donc fuyez-vous ?

HENRIETTE
C'est de peur de troubler un entretien si doux.

PHILAMINTE
Approchez, et venez de toutes vos oreilles
Prendre part au plaisir d'entendre des merveilles.

HENRIETTE
Je sais peu les beautés de tout ce qu'on écrit, Et ce n'est pas mon fait que les choses d'esprit.

PHILAMINTE
Il n'importe ; aussi bien ai-je à vous dire ensuite
Un secret dont il faut que vous soyez instruite.

TRISSOTIN
Les sciences n'ont rien qui vous puisse enflammer,
Et vous ne vous piquez que de savoir charmer.

HENRIETTE
Aussi peu l'un que l'autre, et je n'ai nulle envie...

BÉLISE
Ah songeons à l'enfant nouveau né, je vous prie.

PHILAMINTE
Allons, petit garçon, vite, de quoi s'asseoir.
Le laquais tombe avec la chaise.
Voyez l'impertinent ! Est-ce que l'on doit choir,
Après avoir appris l'équilibre des choses ?

BÉLISE
De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes,
Et qu'elle vient d'avoir du point fixe écarté,
Ce que nous appelons centre de gravité ?

L'ÉPINE
Je m'en suis aperçu, Madame, étant par terre.

PHILAMINTE
Le lourdaud !

TRISSOTIN
Bien lui prend de n'être pas de verre.

ARMANDE
Ah de l'esprit partout !

BÉLISE
Cela ne tarit pas.

PHILAMINTE
Servez-nous promptement votre aimable repas.

TRISSOTIN
Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose,
Un plat seul de huit vers me semble peu de chose,
Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal, De joindre à l'épigramme, ou bien au madrigal,
Le ragoût d'un sonnet, qui chez une princesse
A passé pour avoir quelque délicatesse.
Il est de sel attique assaisonné partout,
Et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût.

ARMANDE
Ah Je n'en doute point.

PHILAMINTE
Donnons vite audience.

BÉLISE
À chaque fois qu'il veut lire, elle l'interrompt.
Je sens d'aise mon cœur tressaillir par avance.
J'aime la poésie avec entêtement
Et surtout quand les vers sont tournés galamment.

PHILAMINTE
Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire.
TRISSOTIN SO...
BÉLISE
Silence, ma nièce.

TRISSOTINSONNET ,À LA PRINCESSE URANIEsur sa fièvre.
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie

BÉLISE
Ah le joli début !

ARMANDE
Qu'il a le tour galant !

PHILAMINTE
Lui seul des vers aisés possède le talent !

ARMANDE
À prudence endormie il faut rendre les armes.

BÉLISE
Loger son ennemie est pour moi plein de charmes.

PHILAMINTE
J'aime superbement et magnifiquement ; Ces deux adverbes joints font admirablement.

BÉLISE
Prêtons l'oreille au reste.

TRISSOTIN
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

ARMANDE
Prudence endormie !

Molière - Les Femmes SavantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant