Acte 3, Scène 3

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L'ÉPINE, TRISSOTIN, PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, HENRIETTE, VADIUS.

L'ÉPINE
Monsieur, un homme est là qui veut parler à vous,
Il est vêtu de noir, et parle d'un ton doux.

TRISSOTIN
C'est cet ami savant qui m'a fait tant d'instance De lui donner l'honneur de votre connaissance.

PHILAMINTE
Pour le faire venir, vous avez tout crédit.
Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit.
Holà. Je vous ai dit en paroles bien claires,
Que j'ai besoin de vous.

HENRIETTE
Mais pour quelles affaires ?

PHILAMINTE
Venez, on va dans peu vous les faire savoir.

TRISSOTIN
Voici l'homme qui meurt du désir de vour voir.
En vous le produisant, je ne crains point le blâme
D'avoir admis chez vous un profane, Madame,
Il peut tenir son coin parmi de beaux esprits.

PHILAMINTE
La main qui le présente, en dit assez le prix.

TRISSOTIN
Il a des vieux autPHILAMINTE
eine intelligence,
Et sait du grec, Madame, autant qu'homme de France.

PHILAMINTE
Du grec, ô Ciel ! du grec ! Il sait du grec, ma sœur !

BÉLISE
Ah, ma nièce, du grec !

ARMANDE
Du grec ! quelle douceur !

PHILAMINTEQuoi, Monsieur sait du grec ? Ah permettez, de grâce
Que pour l'amour du grec, Monsieur, on vous embrasse.
Il les baise toutes, jusques à Henriette qui le refuse.

HENRIETTE
Excusez-moi, Monsieur, je n'entends pas le grec.

PHILAMINTE
J'ai pour les livres grecs un merveilleux respect.

VADIUS
Je crains d'être fâcheux, par l'ardeur qui m'engage À vous rendre aujourd'hui, Madame, mon hommage,
Et j'aurais pu troubler quelque docte entretien.

PHILAMINTE
Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien.

TRISSOTIN
Au reste il fait merveille en vers ainsi qu'en prose,
Et pourrait, s'il voulait, vous montrer quelque chose.

VADIUS
Le défaut des auteurs, dans leurs productions,
C'est d'en tyranniser les conversations ;
D'être au Palais, au Cours aux ruelles, aux tables,
De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.
Pour moi je ne vois rien de plus sot à mon sens, Qu'un auteurqui partout va gueuser des encens ,
Qui des premiers venus saisissant les oreilles,
En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.
On ne m'a jamais vu ce fol entêtement,
Et d'un Grec là-dessus je suis le sentiment, Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages
L'indigne empressement de lire leurs ouvrages.
Voici de petits vers pour de jeunes amants,
Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments.

TRISSOTIN
Vos vers ont des beautés que n'ont point tous les autres.

VADIUS
Les grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.

TRISSOTIN
Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.

VADIUS
On voit partout chez vous l'ithos et le pathos

TRISSOTIN
Nous avons vu de vous des églogues d'un style,
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.

VADIUS
Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

TRISSOTIN
Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes ?

VADIUS
Peut-on voir rien d'égal aux sonnets que vous faites ?

Molière - Les Femmes SavantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant