Acte 2, Scène 7

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PHILAMINTE, CHRYSALE, BÉLISE.

CHRYSALE
Vous êtes satisfaite, et la voilà partie.
Mais je n'approuve point une telle sortie ;
C'est une fille propre aux choses qu'elle fait,
Et vous me la chassez pour un maigre sujet.

PHILAMINTE
Vous voulez que toujours je l'aie à mon service,
Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?
Pour rompre toute loi d'usage et de raison,
Par un barbare amas de vices d'oraison,
De mots estropiés, cousus par intervalles, De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ?

BÉLISE
Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours
Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;
Et les moindres défauts de ce grossier génie,
Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.

CHRYSALE
Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas,
Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas ?
J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas ou méchant mot, Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.
Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage,
Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots.

PHILAMINTE
Que ce discours grossier terriblement assomme !
Et quelle indignité pour ce qui s'appelle homme,
D'être baissé sans cesse aux soins matériels,
Au lieu de se hausser vers les spirituels !
Le corps, cette guenille, est-il d'une importance, D'un prix à mériter seulement qu'on y pense,
Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ?

CHRYSALE
Oui, mon corps est moi-même, et j'en veux prendre soin,
Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère

BÉLISE
Le corps avec l'esprit, fait figure mon frère ; Mais si vous en croyez tout le monde savant,
L'esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;
Et notre plus grand soin, notre première instance,
Doit être à le nourrir du suc de la science.

CHRYSALE
Ma foi si vous songez à nourrir votre esprit, C'est de viande bien creuse, à ce que chacun dit,
Et vous n'avez nul soin, nulle sollicitude
Pour...

PHILAMINTE
Ah sollicitude à mon oreille est rude, Il put étrangement son ancienneté.

BÉLISE
Il est vrai que le mot est bien collet monté

CHRYSALE
Voulez-vous que je dise ? Il faut qu'enfin j'éclate,
Que je lève le masque et décharge ma rate.
De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur...

PHILAMINTE
Comment donc ?

CHRYSALE
. C'est à vous que je parle, ma sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite : Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite
Vos livres éternels ne me contentent pas,
Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville ; M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans,
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brimborions dont l'aspect importune :
Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous, Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.
Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie, et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie
Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse À connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles. Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs,
Elles veulent écrire et devenir auteurs
Nulle science n'est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde.
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir, Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne, et Mars, dont je n'ai point affaire ;
Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot dont j'ai besoin. Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire ;
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison ;
L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire, L'autre rêve à des vers quand je demande à boire ;
Enfin je vois par eux votre exemple suivi,
Et j'ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m'était restée,
Qui de ce mauvais air n'était point infectée, Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
À cause qu'elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,
(Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse) ;
Je n'aime point céans tous vos gens à latin, Et principalement ce Monsieur Trissotin.
C'est lui qui dans des vers vous a tympanisées
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées,
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.

PHILAMINTE Quelle bassesse, ô Ciel, et d'âme, et de langage !

BÉLISE
Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !
Un esprit composé d'atomes plus bourgeois !
Et de ce même sang se peut-il que je sois !
Je me veux mal de mort d'être de votre race,Et de confusion j'abandonne la place.

Molière - Les Femmes SavantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant