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Quatorze heures vingt-huit. Je rangeai mes stylos et fermai ma trousse sous le regard étonné de HeaJung, ma voisine d'amphi et amie.
- Que t'arrive-t-il de si important pour que tu commences à ranger tes affaires deux minutes avant la fin du cours ?
- Tu te souviens du mec dont je t'ai parlé, Lowell ?
- Celui qui te voulait comme modèle ? Yep, bien sûr.
- Eh ben j'ai accepté.
- Genre ? C'est super ! Je suis contente pour toi, je pense vraiment que ça ne peut être que bénéfique.
- C'est ce que je me suis dit aussi. Toujours est-il que je dois être à l'école d'art à quinze heures.
- Je vois. Traîne pas, alors ! ~
Elle m'adressa un grand sourire ; je lui répondis en souriant à mon tour. J'adorais HeaJung, elle était gentille et très souriante, toujours prête à aider les autres. Elle avait beaucoup d'humour, aussi. Enfin, c'était un drôle de personnage atypique, excentrique, et surtout très agréable à vivre. Oh, j'oubliais. Quand je disais "excentrique"... Elle avait les cheveux bleu chewing-gum et se foutait royalement de ce que les autres pouvaient bien penser de son apparence.
C'était ce que HeaJung était. Le fruit parfait du mélange de tous ces trucs bizarres. Parce que oui, elle était parfaite.

Le professeur nous libéra alors. Je finis de fourrer mes affaires dans mon sac, le balançai sur mon épaule, adressai un signe de main à Hea et quittai l'amphi une bonne fois pour toutes.

Il pleuvait un peu. Assis sur le banc de l'arrêt de bus, j'observais les gouttes s'écraser avec lourdeur sur le sol. Il était quatorze heures trente-six.
Je commençais, par ailleurs, à avoir sévèrement envie de pisser.
(Vous êtes ravi(e)s de le savoir, hein.)
Soudain, alors que je me faisais lamentablement humilier par Tetris (oui, je joue à Tetris sur mon portable.), mon téléphone vibra.
< 1 nouveau message >
JaeHwan : Depuis quand tu souhaites plus "bon week-end", jeune gueux?

Je souris. Tch. Sale gosse.
JaeHwan était mon meilleur ami. Avec HeaJung, bien sûr, mais je le connaissais depuis plus longtemps. Il avait un an de moins que nous deux, mais il avait sauté une classe et s'était retrouvé dans notre fac. C'était d'ailleurs allé trop vite pour lui, et il avait à présent un peu de mal à suivre. Le pauvre, passer d'élève brillant à très moyen ne devait rien avoir d'agréable.
Il était un garçon vraiment charmant : grand, un peu mate de peau, des yeux bridés d'une couleur étrangement claire, des lèvres assez pleines qui, quand il souriait, laissaient apparaître deux rangées de dents blanches et parfaitement alignées...
Aussi, j'avais toujours été persuadé que Jae était l'un des êtres humains les moins méchants du monde. Même s'il était naturellement sanguin, être méprisant et/ou agressif lui hérissait le poil, et il était toujours désireux d'apporter son aide à ceux qui en avaient besoin. Un peu comme HeaJung, en fait, mais en ajoutant un caractère de merde à mi-temps. Ce que je veux dire, c'est que dans ses moments sans, il fallait être un peu suicidaire pour venir lui coller quatre bises et lui raconter la blague la plus hilarante de l'univers.
Ça, je l'avais bien compris. Quand il était énervé, je préférais le laisser tranquille. De toute façon, la solitude était l'unique remède à ses états d'âme.
Ce que j'appréciais aussi beaucoup chez JaeHwan, c'était qu'on pouvait lui parler de tout, il ne semblait jamais totalement désintéressé. Il écoutait toujours ce qu'on lui disait avec attention.
Enfin, tout ça pour dire que j'avais un grand talent pour m'entourer de gens peu communément extraordinaires.
Alors que je m'étais perdu dans les méandres de mes pensées les plus profondes - j'avais décidé de répondre à Jae une fois assis dans le bus - , le bus, justement, arriva et s'arrêta devant moi, éclaboussant légèrement le trottoir à son passage.
Je me levai et grimpai dans le véhicule avant de valider ma carte de transports.
C'était quasiment vide. Rien de très étonnant, à cette heure-là, mais je m'en réjouissais intérieurement : j'allais pouvoir m'asseoir au fond.
J'allais toujours à l'arrière du bus quand je le pouvais. C'était le meilleur endroit pour observer la nature humaine à l'action.et la nature humaine était intéressante.
Bien sûr, ce n'était pas la seule raison pour laquelle je favorisais le fond. C'était aussi et surtout l'endroit auquel tout le monde tournait le dos.
Je m'assis alors côté fenêtre. Les fines gouttes de pluie glissaient avec lenteur sur les vitres.
Je sortis mon portable de ma poche et entrepris de répondre à Jae.

the artist and his muse • jhs.pjmOù les histoires vivent. Découvrez maintenant