o1//

915 107 32
                                    

« Les murs tomberont. »

Non, non, non, les murs ne tomberont pas, les murs ne sont jamais tombés, ils sont restés là, plantés dans ce décor fragile où il n'y avait que nous et eux. Nous ; elle et moi, moi et elle, elle toute seule aussi. Elle avait tellement besoin de moi, parfois. Elle tirait sur sa cigarette plus que de raison, criait, riait, elle s'accrochait à moi, tournait, virait. Puis elle s'écartait ; c'est mal, qu'elle disait. Qu'est-ce qui est mal ? L'amour, le désir, ses sourires ravageurs ou ses regards glaçants ? Dis-moi, qu'est-ce qui est mal dans tout ça ? Peut-être était-ce aussi ses mains sur mon torse, ses lèvres sur mon cou, son souffle brûlant sur ma peau, ou tout simplement, elle et moi. Même les murs en ont tremblés.

« Tu penses que ça s'arrêtera un jour ? Tout ça, notre histoire, nos engueulades, nous ?
-Bien sûr que s'arrêtera, tout à une fin.
-Mais peut-être pas nous, j'avais chuchoté cette phrase si doucement que je n'étais même pas sûr qu'elle l'avait entendue.
-Surtout nous..., elle s'était emparé de mes lèvres sans me laisser le temps de répondre alors j'avais simplement serré ses hanches. »

Sa cigarette avait roulé sur le sol, répandant ses cendres un peu partout. Elle l'avait regardé puis l'avait écrasé lentement avec sa chaussure, comme elle le faisait avec le monde entier ; elle l'écrasait.
Et puis soudain, ce fut son corps contre le mien, ses mains sur ma peau, son souffle dans mon cou, et puis mon nom sur ses lèvres. Je répète encore le sien : Styx, Styx, Styx, Styx...

Ne pars plus, Styx.

Je suis là -j'ai l'air un peu con- sous la pluie, je regarde les nuages se profiler au-dessus de ma tête. Ça ne s'arrêtera donc jamais ? Il y a longtemps, j'aurais voulu que rien ne s'arrête jamais, que le monde dans lequel on vivait reste le même, mais maintenant... maintenant, je suis perdu, je suis devenu un cliché ; celui du mec paumé sans la femme qu'il aime, à fumer sous la pluie en se rappelant à quel point elle aimait avoir les cheveux mouillés, à quel point elle aimait valser sous la pluie, à quel point elle l'aimait, lui, le gars froid, distant, mal à l'aise avec les sentiments et les gens et surtout, le meilleur ami de son copain. Ah, c'est moche l'amour, ça vous attrape comme ça, sans prévenir et on peut plus vraiment s'en défaire. J'dis ça parce que je pense qu'à chaque époque de notre vie, une petite part de notre esprit, de nous, meurt avec cette période. Elle est arrivée et a pris une partie de moi (je commence vraiment à devenir le cliché parfait, je vais m'arrêter là).
Je m'assois par terre, j'ai le cul bientôt trempé à cause de cette foutue pluie. Je remarque deux petites touffes d'herbes à mes pieds, toutes seules. Dois y avoir, quoi, une dizaine de centimètres entre elles deux mais, étonnement, il y en a une complètement cramée alors que l'autre et toute verte et continue de bien se porter, même sous cette espèce de pluie diluvienne. J'ai plus trop envie de me lever maintenant que je sais que mon jean aura une sacré tâche (en même temps, c'est pas comme si le reste de mon corps était sec), donc je me lève pas, je reste assis là puis je regarde mes mégots à moitié écrasés par terre. Franchement, je trouve ça dégueulasse le goût du tabac, mais c'est la seule chose qui me tienne éveillée, la caféine marche plus, et regarder des pornos, ce n'est pas mon truc, alors je fume comme un pompier (même si, on est d'accord, la nicotine, c'est immonde). J'regarde encore mes mégots, y'a que ça à voir ici (et l'averse tomber mais c'est encore plus ennuyant). Mais je reste quand même, où aller de toute façon ? Personne ne veut de moi. Non, rectification, personne ne veut de moi parce que je ne veux de personne. J'me demandais d'ailleurs, c'est possible de tomber amoureux d'une personne sans jamais lui avoir parlé ? Je vous explique ; je ne connaissais pas Styx avant que Drew me parle d'elle (Drew, aussi, c'est quoi ce prénom ? Comment vous voulez ne pas lui piquer sa copine avec un prénom pareil ?), il avait des étoiles dans les yeux, je vous assure et au fur et à mesure qu'il m'en parlait, je me disais « Ok, cette fille est extraordinaire » c'est mal, bien sûr que c'est mal, je le savais, mais à ce moment-là, je m'en fichais un peu (et c'est toujours le cas). Alors je l'écoutais déblatérer sur une fille merveilleuse que je n'avais jamais vue et dont je n'avais jamais entendue la voix. Eh bien, croyez-moi, quelle n'a pas été ma surprise en découvrant une espèce de naine maigrichonne aux cheveux bruns et aux yeux tout banals. En plus, elle nous a accueillis en pyjama. J'vais pas vous dire que ça a tout changé quand elle a souris, mais presque. Ses yeux tout moches se sont illuminés et puis ses lèvres roses et incroyablement fines ont laissées s'échapper un rire et je me suis cru soldat. Ouais, un soldat sur le champ de bataille qui allait devoir partir au combat pour la lui voler. Là, maintenant, j'me dis que j'aurais dû suivre un entraînement intensif, parce que qu'est-ce que j'ai pas fait pour elle, putain ! Bref, reprenons, elle nous a ouvert en pyjama, puis elle a ri. Elle s'est foutue de ma gueule. J'en croyais pas mes yeux, mes oreilles, je me sentais tellement stupide à ce moment-là, coincé entre la fille dont je tombais amoureux et mon meilleur ami autrement nommé son copain. Au final, je sais toujours pas pourquoi elle s'est moquée de moi, peut-être que c'était à cause de mes cheveux blonds tout en bataille, de mes yeux aux veines toujours pétées ou tout simplement parce qu'elle voulait attirer mon attention. Elle m'a quand même laissé entrer et Drew m'a lancé ce stupide regard de chien battu qui disait « Elle est formidable, ma nana », bah ouais, bien sûr qu'elle est formidable ta copine, t'as vu ses yeux quand elle rit ? T'as vu toutes les petites tâches de son qu'elle a sur le visage ? Évidemment qu'elle est formidable, ta nana, mec, elle est même hypra formidable. Je ne sais même pas comment il a réussi à la persuader de sortir avec un loser comme lui. Ce mec collectionne des timbres ! (Finalement, j'ai pas grand-chose à dire, j'ai toute une collection d'herbiers, vous savez les petits carnets où on garde des fleurs entre les pages...)
On s'était assis sur le canapé, son foutu appart était rempli de plantes, des cactus, des lys, des roses, des pivoines, partout, partout, partout, absolument partout. Alors que je m'extasiais sur le nombre impressionnant de verdure qu'abritait son appartement, je me suis rendu compte que nous étions seuls, tous les deux et qu'elle me fixait.

« Salut, j'avais réussis à articuler de façon assez naturelle.
-Salut. Je suis Styx.
-Je sais. »

Super conversation, me direz-vous. Qu'est-ce que vous voulez ? Cette fille est une espèce de bombe à retardement et je sens qu'elle va m'exploser à la gueule si je m'approche trop.

En soi, c'est un peu ce qu'il s'est passé.

StyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant