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« Tu crois qu'on pourra être heureux ensemble ? elle avait chuchoté, les yeux fixés sur le plafond, sa cigarette répandant une faible lueur sur son visage.
-Sûrement... Et jette-moi cette clope, Styx... Ça pue, et ça sert à rien, de fumer..., son sourire s'était élargi alors qu'elle tirait une taffe.
-Ce qui pue, c'est notre relation.
-Merci..., je murmurais, trop habitué pour être vexé.
-Mais étonnement, elle avait écrasé sa clope sur le bord du cendrier, c'est que ça me gêne pas..., et elle m'avait embrassé. »

Elle parlait vite. Elle avait cet espèce d'accent de je-ne-sais-quel-coin des Etats-Unis qui faisait qu'elle mâchait la moitié des mots ; j'y comprenais jamais rien. Elle riait et répétait parfois la même phrase cinq fois avant que je comprenne. Elle ne s'en lassait jamais et me souriait toujours, la fossette sur sa joue gauche se creusait ; elle était belle. Parfois, je la surprenais à me fixer comme si j'étais tout son univers, ça me faisait du bien, parce que moi, j'étais le mec qui cachait ses sentiments la journée et qu'on surprenait à chialer dans son lit, le soir, à se lamenter sur sa pauvre vie de merde. Surtout, qu'elle n'est pas si merdique, ma vie ; j'ai toujours des clopes et un briquet sur moi, je mange à ma faim, un toit au-dessus de la tête, et un lit où dormir (même si je ne l'utilise pas souvent). Je ne fumais pas avant. C'est après son départ précipité, un peu violent, que je m'y suis mis.
J'suis pas un gars avec qui on s'éclate ; je suis ennuyant. J'avais l'habitude de me lever à sept heures moins le quart, je prenais mon café à sept heures, après m'être brossé les dents, avoir pissé et m'être lavé le visage. Je m'asseyais à la table en noyer de ma cuisine, restais quelques minutes à regarder le mur devant moi « Réveille-toi maintenant », je me relevais puis j'me préparais une tasse de café noir (cette tasse était à l'effigie de Pluto, précisons-le), histoire d'être vraiment réveillé. J'attrapais ensuite, dans mon placard, une boîte de gâteaux au beurre. Je les trempais dans mon bol à l'aide de ma cuillère jusqu'à ce que ceux-ci soit tout mous. J'allumais la télé vers le milieu de mon déjeuner puis je regardais la chaîne des petits. Je crois connaître tous les épisodes de Mickey Mouse à cause de ce petit rituel. Je rangeais ensuite tout le bordel que j'avais sorti et j'allais m'habiller. Puis le boulot. J'étais botaniste. Rien de très spécial, huit ans d'études pour observer des jolies fleurs et pour aider les industries pharmaceutiques.
Je rentrais du boulot, exténué et pas forcément de bonne humeur, et mon vieux chien, Rex (je n'ai pas trouvé de nom plus cliché, excusez-moi) m'attendait patiemment assis sur le canapé miteux que j'avais trouvé dans une brocante. Il levait la tête, me regardait en clignant lentement des yeux puis se recouchait. Moi, j'me retrouvais seul une nouvelle fois.

J'ai l'étrange conviction que nous ne vivons pas sous le même ciel. Chacun se trimballe avec son morceau de ciel au-dessus la tête, vous savez, un peu comme... comme le karma, chacun a le sien ; eh bien, là, chacun à son ciel. Comment savoir si nous regardons tous le même ? Pour ma part, je le vois noir, remplis d'étoiles, ce qui le rend un peu lumineux. J'allume encore une clope et je lève les yeux vers la nue, y'a ma fumée qui se dessine entre les constellations, comme des doigts blancs. Elle essaie de les toucher mais elle n'y arrivera pas, je m'y suis essayé tellement de fois et c'est toujours la même déception. Elles paraissent proches mais sont tellement loin. Tellement mortes aussi. La fumée s'évapore rapidement, mais reste l'odeur âcre de la nicotine qui me brûle les narines. Malgré tout, il reste dans l'air l'effluve de mon aftershave, puis celle de mon shampoing. Ça pue vachement ces merdes industrielles, je ne sais même pas pourquoi je continue d'utiliser ces trucs, certainement pour sentir bon quand elle reviendra.
Autant ne plus les utiliser.

StyxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant