D i s p e r s i o n

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Coralz, Coralz, Coralz...

Le prénom atypique de la fille aux marrons résonne encore dans l'esprit embrouillé de Pacôme. Chaque parcelle de son corps semble attirée par elle.

Coralz ne tarde pas à partir. Mais Pacôme ne la rattrape pas ; il a déjà abusé de son temps.

Il est heureux, comme il ne l'avait pas été depuis bien des années. Lorsqu'il rentre chez lui, il a dans la tête la jolie voix de Coralz qui fait écho, sans arrêt.

Elle n'est pas spécialement belle, pourtant elle lui plaît tout particulièrement.

*

Le jour suivant, Pacôme retourne au parc. Maintenant qu'elle s'est laissée apprivoisée, maintenant qu'elle a même osé dévoiler son nom, le jeune homme veut plus.

Il marche quelques instants, et finit par trouver la fille aux marrons assise au beau milieu d'un chemin de calcaire. Des tas de marrons sont éparpillés autour d'elle. Ses longs cheveux forment un voile devant ses yeux d'un noir toujours aussi envoûtant. La tête baissée, elle est occupée à ramasser ses graines éparses.

Il remarque tout juste qu'elle porte des cuissardes brunes qui lui montent juste au-dessus des genoux. Elle a toujours autour du cou son collier de marrons d'Inde, mystérieux, disgracieux et embarrassant.


《 - Bonjour Coralz ! fanfaronne-t-il en descendant avec elle au sol. 》

Accroupie devant lui, l'intéressée le fixe sans ciller.
Chacun des os de ses mains sont tangibles. Ils ressortent, ainsi que ses veines foncées, sur ses poignets, et même au travers de ses doigts effilés. Son teint est opalescent, irisé tout en étant si blême, si laiteux.

Elle range distraitement ses fruits toxiques dans ses poches, un à un, alors que Pacôme reste immobile, à la regarder, à peine à un mètre ou deux.

《 - Quel âge as-tu ? demande lentement l'écrivain. 》

La fille aux marrons achève de récupérer ses précieux petits objets, et se relève rapidement.
Elle s'éloigne en silence, et Pacôme s'empresse de la rattraper, sans toutefois insister.
De toute façon, il sait qu'elle doit avoir environ son âge. Peut-être à peine moins.

Leurs genoux sont marqués du même blanc salissant, laissé par le calcaire des chemins. Coralz marche bien vite, et Pacôme la suit. Elle ne dit rien, ne lui adresse ni un regard ni une parole. C'est tout comme s'il n'existait pas.

《 - Où est-ce que tu vas ? l'interroge alors doucement le jeune homme. 》

Coralz continue de marcher, imperturbable.
Il la suit sans relâche, et ils atterissent près du pont aux canards.

Les animaux au cou bleu-vert s'approchent en cancanant. De jolis reflets brillent sur leurs cols aux plumes mouillées.


Coralz n'a pas l'air d'aimer les interrogations.
Elle soupire silencieusement.

Il fait bien lourd. L'impression d'être enserré, d'étouffer, est persistante. La fin de journée promet un gros orage, vent et pluie au rendez-vous. Pacôme est prêt à parier qu'elle aime les éclairs et les coups de tonnerre.

Coralz passe tout à coup une jambe de l'autre côté de la barrière du petit pont. La seconde rejoint la première. Et soudain, elle se laisse tomber dans le cours d'eau trouble que surplombe le petit pont.

Pacôme sursaute, se penche immédiatement dans un élan d'inquiétude.
Les canards se sont envolés en poussant des cris indignés. La fille aux marrons n'a qu'une partie des jambes immergée.
La voilà qui avance à longs pas, créant des remous et troublant de ses jambes amaigries le cours de l'eau.

《 - Coralz ! Attends, arrête ! 》

Mais stoïque elle s'éloigne, d'un air profondément détaché. Les eaux derrière elle s'assombrissent à cause de la vase noirâtre qui remonte, à fleur d'eau, et qui vient empêcher de voir le sol à travers les flots.

Ne cessera-t-elle donc jamais de le semer ?

Brusquement, Pacôme se laisse tomber à son tour dans l'eau boueuse, éclaboussant son haut et trempant son pantalon.

Il se met à contourner les acores odorants, plantes aquatiques vénéneuses, qui ont proliféré aux abords des rives du courant d'eau, vaseux.

Son pas s'accélère, afin de ne pas perdre du regard la douce Coralz.

Et la fille aux marrons reste comme paralysée lorsqu'elle découvre qu'il l'a suivie jusque dans les eaux fraîches.
Pacôme en profite pour arriver à son niveau, l'air de penser qu'elle l'a volontairement attendu. Elle n'aspire pourtant qu'à le semer, cet écrivain trop curieux !

Les ondes qu'ils forment s'éloignent et vont se briser sur les rivages terreux.
Ils se fixent quelques instants, elle les sourcils froncés, et lui plein de douceur.

Et Coralz repart, muette, parmi les roseaux et les araignées d'eau, sachant Pacôme sur ses talons.

La Fille aux MarronsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant