D u o

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L'après-midi du jour qui suit, Pacôme retourne au parc, pour la première fois accompagné.
Un grand brun maigrelet marche d'un pas assuré à ses côtés. Certainement un camarade rencontré sur les bancs de cette première année d'université.
Le grand gaillard porte une paire de lunettes avec une chemise de couleur uniforme, et semble un brin plus sur terre que Pacôme. Plus sérieux, peut-être. Plus scolaire, plus correct, sûrement.

《 - C'est donc ici que tu viens dès que tu as du temps libre ? le questionne curieusement le jeune étudiant.

- Oui. C'est agréable pour écrire. 》

Aucun autre mot n'est échangé, ce qui laisse penser que les deux jeunes hommes se connaissent depuis peu. On ne se permet pas autant de choses que si on avait été plus proche.

Ils marchent en silence jusqu'au banc situé à proximité, et s'installent côte à côte sous l'ombre d'un grand chêne.

《 - Qu'est-ce que tu écris au juste ? 》

C'est le brun qui a parlé. Il a l'air intéressé par le sujet, et scrute Pacôme d'une manière qui en aurait embarrassé plus d'un. Mais le jeune écrivain ne se préoccupe pas de son regard. Il n'est point timide, au fond.

《 - J'écris le monde. 》

Et son compagnon de répliquer, les sourcils courbés d'un air étrange :

《 - Pardon ? 》

Absent, Pacôme ferme les paupières lorsqu'un rayon de soleil perce le feuillage épais du chêne pour aller se réfugier dans ses yeux.

《 - J'écris de tout. Tout ce qui me passe par la tête. J'écris le monde, l'univers, tout ce que tu veux, ça m'est égal.

- Tu me feras lire ? s'intrigue son camarade, de plus en plus surpris.

- Peut-être. 》

L'un sort son éternel carnet, l'autre observe les alentours d'un oeil perçant. Esprit vif et analytique.
Le jeune aux cheveux bruns semble né pour critiquer, tirer des conclusions, débattre. Passer de la défensive à l'offensive. On le verrait bien homme de loi. Il dégage de l'assurance, de la prestance. Pas du genre à croire sans avoir vu.

Ils conversent un peu, échangent quelques anecdotes, puis finissent par garder le silence, sans chercher à combler le calme.
Quelques passants profitent du temps agréable pour se promener, et jettent des miettes aux pigeons regroupés au sol, non loin.

《 - Bonsoir. 》

Pacôme lève enfin les yeux de ses notes, et surprend le charbonneux regard de la fille aux marrons, à seulement deux pas de lui.
Debout, les mains enfoncées dans les poches de sa veste trop grande, son inexorable collier toxique autour du col, elle se balance sur une jambe, puis sur l'autre.
Le talon de ses cuissardes touche le sol, décolle, elle change de pied.
Gracieuse, elle ressemble à un oiseau en quête d'équilibre. Comme ces marmots à vélo qui tentent tant bien que mal de rester assis. Coralz, elle, tente de rester debout.

Subjugué, Pacôme a cessé d'écrire. Et le garçon brun s'en rend bien vite compte.
Il ne semble pas avoir remarqué la fille aux marrons et son allure curieuse.

《 - Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-il en haussant les sourcils.

- Je te présente Coralz. On s'est rencontrés il y a quelques jours, ici même. 》

Le garçon cherche du regard la jeune femme, en vain, puis rapidement dévisage Pacôme.

《 - Mais de quoi tu parles ?... 》

L'intéressé sourit dans le vide, le regard plongé dans l'air. Ses yeux brillent de mille éclats.
C'en est trop pour le garçon brun, qui, inquiété de voir que son nouvel ami parle à des êtres qui n'existent pas, lui fausse lâchement compagnie.

Pacôme ne réagit même pas lorsqu'il se rend compte de sa disparition, quelques minutes plus tard. Il est bien trop heureux que Coralz lui ait adressé la parole. Il faut dire que ce n'est que le second mot qu'elle ait prononcé ! Une formule de politesse des plus banales, qui aura tout de même réussi à emporter le jeune homme loin, très loin.

Et toute la soirée il se remémora sur quel charmant ton elle avait fait sonner ce "bonsoir"...

La Fille aux MarronsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant