— Mon compagnon m'a quitté il y a deux semaines. Je suis venu acheter un pot de chocolat et assez de provisions pour tenir un mois de plus.
— Vous aviez un compagnon ?
— Votre doute n'est pas flatteur du tout.
— Oh, non mais j... Ce que je voulais dire, c'est que, finalement, vous n'êtes pas si seul...
— Je reste un homme, au regret de vous décevoir.
— Vous êtes très beau. Rassurez-vous.
Des sirènes se firent entendre. La lumière s'éteignit. Il passa sa main à plat sur le mur d'à côté et lui s'empressa de l'attraper, cette main libre, pour la serrer dans la sienne.
— Calmez-vous.
Il respira très fort, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien. Puis des hommes crièrent au-dessus de leurs têtes.
— N'y faites pas attention. Je ne vous intéresse plus ?
Il rit.
— Vous êtes génial. Je suis heureux de passer les derniers moments de ma vie à vos côtés.
— Apprenez aussi que j'adore les compliments.
— Modeste, je prends note. Depuis quand êtes-vous aveugle ?
— Ma cécité m'est tombée dessus quand j'avais treize ans. C'est depuis cette rude année que je prends la vie différemment : que je ne me cramponne pas aux murs comme vous le faites, que je ne pleure plus en écoutant les informations qui passent à la télé le soir. J'ai acquis une maturité mystérieuse. Depuis, je vis. En n'écoutant que d'une oreille l'actualité, sans m'attarder, très brièvement, je pense au soleil, à la lumière que je reverrai peut-être un jour. C'est simple, finalement.
— C'est vous qui le dites.
— C'est vous qui voyez.
— Très joli jeu de mots.
— Merci.
— J'aimerais remonter, maintenant. J'ai honte de me ridiculiser face à votre passivité, hélas j'ai toujours été de nature anxieuse. Personne ne me changera.
— Moi aussi, je vous aime bien. Mais si vous pouviez être un peu moins défaitiste, ce serait vraiment bien.
— Rien ni personne ne me changera, rumina-t-il en fermant les yeux, réalisant que cette remarque sur son pessimisme, il l'avait déjà entendue dans son entourage — avant de le quitter définitivement, son entourage.
— J'en conclus qu'il me faudra bien plus qu'une cave en dessous d'un supermarché et d'un discours prononcé dans le noir pour vous convaincre. Mais j'ai espoir.
— C'est bon à savoir. Vous savez, j'ai l'impression que c'est vous qui allez nous sauver. Vous semblez si sûr de vous, si confiant.
— Depuis que nous parlons, vous n'avez rien remarqué ?
— Non.
— Ils évacuent. Nous allons bientôt pouvoir sortir.
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L'homme invisible
Short Story"Ce n'est pas moi qui suis aveugle, c'est vous qui êtes invisible." "Vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais vous avez de jolis yeux" 2017